Alors que la fin des véhicules thermiques semblait actée pour 2035, la loi qui devait interdire leur vente en Europe pourrait ne pas être votée.
Surprise à Bruxelles, l’Allemagne refuse de voter le texte prévoyant l’interdiction de la vente de véhicules thermiques en Europe à partir de 2035. Le vote des 27 états membres de l’UE visant à mettre fin aux véhicules thermiques devait être une formalité, il est en train de virer à la catastrophe. Prévu initialement le 7 mars, il a été reporté suite au refus de Berlin de signer le texte. Les ambassadeurs des Vingt-Sept ont « décidé de reporter la décision (…) à une réunion ultérieure », a annoncé en fin de semaine le porte-parole de la Suède, État qui assure actuellement la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. La suite ? Les membres de l’UE « reviendront sur ce sujet en temps voulu », conclut le communiqué officiel.
L’Allemagne ne joue plus le jeu
Le texte visant à réduire les émissions de CO2 dans l’Espace européen n’est donc plus assuré d’être voté. Mais l’Allemagne n’est pas seule à mener la fronde. Derrière le géant européen, d’autres pays initialement réfractaires à la loi, mais qui avaient fini par donner leur accord, forment une opposition solide. L’Italie, la Pologne, ou encore la Bulgarie se rangent derrière Berlin dans ce rétropédalage inédit. En effet, depuis octobre, il semblait acquis que le texte serait voté tel quel. Eurodéputés et États membres de l’Union avaient réussi à s’entendre sur un accord définitif, le vote du 7 mars devait simplement acter une décision entérinée depuis des mois. Le scrutin annulé au dernier moment était la dernière étape avant l’entrée en vigueur de la loi, mais le retrait de l’Allemagne rend son adoption impossible pour le moment. La raison ? Le texte doit obtenir une majorité qualifiée, c’est-à-dire le vote d’au moins 55 % des États, représentant au moins 65 % de la population de l’UE. Que s’est-il passé pour qu’une décision aussi importante soit remise en cause à quelques heures de son adoption ?
Un problème de politique intérieure, mais pas seulement
La réponse à cette question est multiple. Elle est à chercher dans la vie politique allemande, dans le contexte économique mondial et, bien sûr, dans les intérêts divergents de l’industrie automobile. Le premier frein est d’ordre politique. Le vote de ce texte a créé un état de tension inédit dans la coalition au pouvoir en Allemagne. Le ministre des Transports, Volker Wissing, membre du FDP, n’a jamais été un fervent partisan de la loi, et semble prêt à remettre en question les accords conclus sur ce sujet avec ses partenaires du SPD et des Verts. Son collègue, le ministre des Finances Christian Linder, également membre du parti libéral-démocrate, expliquait au journal Der Spiegel que son objectif était que « des voitures neuves à moteur à combustion puissent encore être immatriculées en Allemagne après 2035 ». En difficulté dans les dernières élections régionales, le FDP souhaiterait ainsi montrer son attachement à la défense des intérêts nationaux. Et pour cause, selon Marie Krpata, chercheuse à l’Ifri qui s’exprimait sur France Info « l’Allemagne est connue comme la patrie de l’automobile. Quelque 800 000 emplois sont directement liés à ce secteur ». Selon cette spécialiste de l’économie outre-Rhin, l’Allemagne « n’a pas pris le tournant du véhicule électrique, elle veut diversifier son offre, ne pas seulement miser sur le véhicule électrique » qui demande moins de main-d’œuvre.
L’autre raison de ce recul allemand tient au contexte économique actuel et aux incertitudes liées à la crise des prix de l’énergie. « Avec l’inflation, l’Allemagne doit mettre de l’argent sur la table (pour les ménages), donc le FDP ne peut pas mener sa politique d’orthodoxie budgétaire. Il veut se positionner comme le défenseur de la compétitivité, défendre l’industrie automobile et représenter l’économie », résume Marie Krpata.
Enfin, il y a la puissante industrie automobile allemande qui voit dans cette transition accélérée vers le 100 % électrique une perte de compétitivité au détriment des constructeurs chinois. Volkswagen, Mercedes ou encore BMW disposent certes de plusieurs modèles 100 % électriques, mais ne maîtrisent pas encore l’ensemble de la chaîne de production et doivent s’en remettre pour partie à des entreprises chinoises, notamment pour les batteries. Ce report de la fin du thermique donnerait davantage de temps à ces marques pour mettre au point leur propre filière.
Une nouvelle loi est-elle possible ?
Le report du vote enterre-t-il la proposition de loi européenne ? Autrement dit, la position de l’Allemagne et de cette nouvelle coalition anti-transition peut-elle être infléchie ? « Nous avons toujours dit clairement que la Commission européenne devait présenter une proposition sur la manière dont les carburants synthétiques pourraient être utilisés dans les moteurs à combustion après 2035 (…). Ce qui manque maintenant, c’est la réalisation de cet engagement », explique le ministre des Transports Outre-Rhin.
En effet, Berlin souhaiterait amender le texte pour y introduire une dérogation liée aux e-carburants, des produits de synthèse à base d’hydrocarbures. L’e-carburant ou e-fuel fonctionne avec un moteur thermique, mais est présenté comme « neutre » en CO2, car produit artificiellement sans la moindre trace d’énergie fossile, ni de biomasse. Pour autant, il ne fait pas l’unanimité. Une ONG telle que Transport et Environnement estime, par exemple, qu’une voiture roulant à l’e-fuel émet des niveaux de NOx (oxydes d’azote) toxiques équivalents à celles d’un carburant classique de type E10, tout en ajoutant des traces de monoxyde de carbone et d’ammoniac. Une dérogation e-fuel aurait pour conséquence de maintenir les véhicules thermiques dans le marché.
L’Allemagne semble conditionner son retour au dialogue à l’introduction d’un amendement sur les e-carburants, et pour cause, des marques comme BMW ou Porsche sont aujourd’hui à la pointe de cette nouvelle technologie. Pour autant, le texte semble bloqué pour l’instant et à moins d’un ultime revirement de situation, les voitures thermiques semblent avoir obtenu un sursis qui était encore inespéré il y a quelques semaines.