Couvertures criardes, pages surchargées jamais à court de superlatifs… le joyeux déluge d’images et de mots de la presse vidéoludique, qui a connu son âge d’or des années 1980 au début des années 2000, suscite souvent la nostalgie de ses anciens lecteurs.
Depuis quelques années, elle attire aussi l’attention d’experts et de chercheurs, comme en témoigne la publication en décembre de Lire les magazines de jeu vidéo. Couverture(s) de la presse spécialisée française, codirigé par Selim Ammouche, Alexis Blanchet, Björn-Olav Dozo et Mathieu Triclot (Presses universitaires de Liège, 2022) ou celle de Presse Start. 40 ans de magazines de jeux vidéo en France (Omake Books, 2020), d’Yves Breem et Boris Krywicki.
Pour ce dernier, docteur en médias et communication au Liège Game Lab de l’université de Liège (Belgique), l’analyse des archives de la presse vidéoludique est un moyen de comprendre ses difficultés actuelles, alors que le site spécialisé Gamekult a vu le départ de la quasi-intégralité de sa rédaction après son rachat par Reworld Media, que la liquidation judiciaire de son concurrent Gameblog a été prononcée en janvier 2022, ou que le mensuel Canard PC a perdu une demi-douzaine de ses plumes au cours des six derniers mois.
L’industrie du jeu vidéo a beau générer des revenus énormes – 190 milliards de dollars (174 milliards d’euros) estimés pour 2022 –, les médias spécialisés peinent à survivre. Pourquoi ?
Boris Krywicky : Actuellement, cette industrie n’a plus besoin de la presse et des journalistes spécialisés pour exister. Dans les années 1990, il y avait une espèce de synergie : plus le jeu vidéo allait bien, plus la presse allait en profiter. Ce n’est plus du tout le cas, puisque l’industrie fait désormais sa propre communication directement en ligne. Donc les journalistes spécialisés se retrouvent dans la même posture qu’un spectateur ou une spectatrice lambda, à commenter des conférences en direct ou des vidéos de bandes-annonces. La plupart des éditeurs font cela, maintenant, avec les State of Play de Sony, les Nintendo Direct, etc.
La multiplication des canaux a-t-elle transformé la demande ?
Nous assistons à l’émergence de sites hyperspécialisés. Ceux qui les fréquentent sont des joueurs et des joueuses qui sont surtout fans d’un seul titre, d’une série ou d’une discipline d’e-sport. Pour suivre leur actualité, ils ne vont pas consulter le site Gamekult ou des mensuels comme Canard PC ou JV. La presse et les sites sont ainsi confrontés une sorte de paradoxe : à l’intérieur même de la spécialisation « jeu vidéo », ils paraissent presque généralistes.
Il vous reste 56.43% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.