Menacés de blocage en France, cinq des principaux sites pornographiques répliquent devant la justice

Menacés de blocage en France, cinq des principaux sites pornographiques répliquent devant la justice


C’est un air de déjà-vu qui flottait dans la salle du tribunal judiciaire de Paris, mardi 6 septembre, accueillant sur ses bancs avocats de l’Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), ceux des principaux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) français, et conseils des éditeurs de sites pornographiques.

Trois mois plus tôt, le 24 mai, ces mêmes personnes étaient réunies pour trancher le sujet brûlant du blocage de cinq sites pour adultes, Pornhub, Xnxx, Tukif, Xvideos et Xhamster, accusés de ne pas empêcher efficacement les mineurs d’accéder à des contenus pornographiques. Mais l’Arcom – né de la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) – avait essuyé un revers à l’issue d’une audience écourtée du fait d’une erreur de procédure : les copies des assignations visant les FAI n’avaient pas été envoyées à temps au tribunal, et la présidente avait été contrainte de constater leur caducité. En termes pratiques, cela signifie que l’Arcom a dû recommencer la procédure, et assigner à nouveau les FAI devant la justice.

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Recours devant le Conseil d’Etat

Près de huit mois après que le gendarme des médias a sommé ces cinq sites, parmi les plus consultés de l’industrie, de se mettre en conformité avec la législation française, estimant que ceux-ci n’étaient plus en règle, le volet judiciaire avance laborieusement. Ce 6 septembre, le fond n’a pas pu être abordé au cours de l’audience, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ayant été soumise par les avocats de MG Freesites, branche chypriote de MindGeek représentant Pornhub dans l’affaire. Un recours similaire a été formulé en parallèle devant le Conseil d’Etat.

En rendant obsolète un système adopté dans le monde entier, le législateur a mis la quasi-totalité des sites pornographiques dans l’illégalité

Le dossier pourrait donc traîner en longueur : le 4 octobre, le tribunal judiciaire dira s’il transmet la QPC à la Cour de cassation – ce qui suspendrait l’action de l’Arcom – ou s’il refuse et annonce une nouvelle date d’audience pour décider du blocage ou non des sites concernés. En parallèle, le tribunal devrait enjoindre, jeudi 8 septembre, les parties en présence – FAI, sites pornographiques et Arcom – à se réunir autour d’un médiateur.

Depuis la loi du 30 juillet 2020 contre les violences conjugales, les éditeurs de sites présentant des contenus pornographiques ne peuvent plus se contenter d’un simple encadré demandant aux utilisateurs de confirmer, en un clic, qu’ils sont en âge de consulter des photos ou vidéos pour adultes. En rendant obsolète un système très majoritairement adopté par l’industrie dans le monde entier, le législateur a, sur le papier, mis la quasi-totalité des sites pornographiques les plus consultés dans l’illégalité. Le pouvoir a ainsi été donné à l’Arcom de mettre en demeure les contrevenants et, dans le cas où ces derniers ne se mettent pas en conformité, de demander le blocage des sites concernés devant la justice.

Le problème du contrôle de l’âge

L’Assemblée nationale n’a donné aucune ligne directrice sur la façon dont les éditeurs doivent désormais contrôler l’âge des internautes, et c’est ce point, hautement polémique, qui cristallise les discussions. Entre sécurité et protection des données personnelles, le choix d’un outil de vérification de la majorité des internautes est loin d’être aisé. Cette difficulté est justement l’une des principales raisons pour lesquels un projet législatif similaire à celui mis en place en France a été abandonné au Royaume-Uni.

A l’audience, sites pornographiques et Arcom se sont renvoyé la balle. Elsa Rodrigues, l’avocate de MG Freesites a notamment, au cours de l’audience, répété la difficulté de trouver une solution satisfaisante de contrôle de l’âge des internautes, citant notamment des rapports publiés par divers acteurs dont la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), et s’accordant pour constater qu’il n’existait pas à ce jour de solution technique miracle, aussi bien du point de vue de la fiabilité que de la protection de la vie privée.

Le 26 juillet, la commission a en effet publié de nouvelles recommandations à destination des éditeurs de sites pornographiques, après avoir « analysé les principaux systèmes de vérification de l’âge », et répété, comme elle l’avait fait en 2021, qu’il n’existait « pas aujourd’hui de solution remplissant » les exigences qu’elle a définies. En attendant qu’un tel système soit mis en place, la CNIL rappelle cependant que des solutions temporaires peuvent mieux empêcher l’accès des mineurs aux sites pornographiques – comme l’utilisation de cartes bancaires – sous réserve qu’elles ne soient pas développées par les sites eux-mêmes.

Aujourd’hui, les avocats des sites pornographiques demandent à l’Arcom de donner des lignes directrices et reprochent à la loi de ne pas préciser les moyens utilisables pour se mettre en conformité. « Ce n’est pas au législateur de faire une énumération à la Prévert », a répliqué au tribunal Antoine Beauquier, conseil de l’Arcom, « il faut respecter vos obligations. »

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D’autres sites dans le viseur

Les cinq noms du porno concernés le 6 septembre ne pourraient être que les premiers d’une longue série d’actions. En avril, les sites YouPorn et RedTube, appartenant tous deux à la galaxie du groupe canadien Mindgeek, ont également été mis en demeure par l’Arcom, qui avait fait constater par huissier, deux mois auparavant, l’absence de mise en conformité vis-à-vis de la loi.

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Récemment, le gendarme des médias a également été saisi par plusieurs associations de protection de l’enfance, déjà à la manœuvre contre plusieurs sites pornographiques, lui demandant de mettre en demeure le réseau social Twitter, au motif qu’il héberge lui aussi des contenus pour adultes. « L’idée n’étant évidemment pas de suspendre Twitter, mais, a minima, d’entamer le dialogue, ce que l’on a essayé de faire courant juillet. Et, pour l’instant, ils l’ont refusé », a argué Thomas Rohmer, directeur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (Open), auprès de Franceinfo.

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