Le déclic est intervenu début mars. Alors meilleur ami de Donal Trump, Elon Musk affirme sur son réseau social X que « le front ukrainien s’effondrerait » s’il retirait à l’armée de Kiev son système d’internet satellitaire Starlink, lui permettant de communiquer efficacement sur la ligne de front.
Une menace de plus. Par le passé, le milliardaire au comportement erratique avait déjà admis avoir interféré dans le conflit en cours en désactivant Starlink lors d’une offensive ukrainienne en Crimée.
Des déclarations qui ont servi électrochoc de ce côté-ci de l’Atlantique. Au-delà du cloud et de l’IA, la souveraineté technologique passe aussi par l’espace. Peu après le tweet d’Elon Musk, le cours de l’action d’Eutelsat Group s’envolait en Bourse. Un porte-parole de l’opérateur de satellites avait fait savoir qu’il pouvait suppléer le réseau de l’américain s’il venait à se désengager en Ukraine.
Le positionnement en orbite basse, l’arme fatale
Issu du rapprochement du français Eutelsat et du britannique OneWeb en 2023, Eutelsat Group présente l’originalité de disposer à la fois d’une flotte de 35 satellites géostationnaires (GEO), positionnés à 36 000 km d’attitude, et d’une constellation en orbite basse (LEO) composée de plus de 600 satellites.
Ce positionnement en orbite basse, similaire à celui de Starlink, permet au signal de parcourir une distance nettement moindre entre l’utilisateur et l’espace. Résultat : un débit supérieur aux satellites géostationnaires et surtout une faible latence, comparables ponctuellement à ceux de la fibre optique.
Croulant sur le poids de l’endettement, Eutelsat ne bénéficie toutefois pas de l’assise financière de Starlink. La filiale de SpaceX peut compter sur la générosité de son propriétaire, l’homme le plus riche de monde, mais aussi de la manne apportée par le Nasa qui s’appuie sur les lanceurs de ce dernier pour ses programmes d’exploration spatiale.
Eutelsat retrouve sa « french touch »
Pour conserver une maitrise sur le futur d’Eutelsat, l’État français pourrait, selon Bloomberg, monter à 30 % dans son capital contre 13 % actuellement à l’occasion d’une levée de fonds de 1,5 milliard d’euros. D’autres investisseurs français privés pourraient mettre au pot comme l’inévitable CMA CGM de Rodolphe Saadé qui détiendrait déjà 10 % des parts de l’opérateur.
Cette montée au capital permettrait de redonner une « french touch » à Eultelsat que l’opérateur avait perdu lors de sa fusion OneWeb. A cette occasion, le gouvernement britannique, le groupe indien Bharti (Barthi Airtel), le japonais SoftBank et le sud-coréen Hanwha étaient montés à bord.
Début mai, la danoise Eva Berneke s’était vu remplacer par le français Jean-François Fallacher à la direction générale d’Eutelsat. La nomination de cet ancien directeur exécutif d’Orange France ne pourra que renforcer le lien avec l’Etat et le marché français. Orange vient d’ailleurs de consolider son partenariat avec Eutelsat.
Présidé par le normalien Dominique D’Hinnin, le Conseil d’administration d’Eutelsat compte aussi dans ses rangs les français Michel Combes, ancien patron d’Alcatel-Lucent et SFR, et Florence Parly, ancienne ministre des Armées.
Le luxembourgeois SES double de taille
Eutelsat n’est pas le seul acteur européen de ce marché du « new space ». Après l’Autorité britannique de la concurrence (CMA) début juin, la Commission européenne vient de valider « sans conditions » le rachat de l’américain Intelsat par le luxembourgeois SES. Cette opération à 2,8 milliards d’euros avait été annoncée le 30 avril 2024.
Grâce à ce rachat, SES double de taille selon Les Echos. Le nouvel ensemble devrait générer un chiffre d’affaires annuel de 3,8 milliards d’euros et compter plus de 120 satellites géostationnaires (GEO) et en orbite moyenne (MEO). En 2024, SES a commencé à déployé O3b mPOWER, son système satellitaire de deuxième génération commandé par logiciel.
Un acquis du rachat en 2016 de l’opérateur O3b Networks détenu par Google.
« Airbus de l’Espace »
Où s’arrêtera cette consolidation sur le marché des satellites ? Le Monde évoque la possibilité d’un « Airbus de l’Espace » rappelant que la fusion entre SES et Eutelsat a déjà été tentée plusieurs fois au cours de la dernière décennie. Les négociations n’ont pour l’heure abouti, le Luxembourg souhaitant garder la main sur son opérateur satellitaire.
« Le Grand-Duché estime avoir été trahi par les Français lors du rachat du sidérurgiste Arcelor (propriétaire des aciéries luxembourgeoises) par l’indien Mittal en 2006, note le quotidien. Eutelsat, pas convaincu non plus par l’intérêt de l’opération, avait aussi préféré décliner. »
L’intérêt supérieur pourrait toutefois faire bouger les lignes. Constituer une constellation de satellites à la hauteur de Starlink et demain par Kuiper d’Amazon exige des investissements considérables. L’Union européenne a, par ailleurs, donné le coup d’envoi de sa propre constellation, Iris², dont Eutelstat et SES sont parties prenantes, à côté de l’espagnol Hispasat.