Pourquoi l’e-sport rassemble autant de fans en France

Pourquoi l’e-sport rassemble autant de fans en France


Samedi 7 mai, les Français de la Karmine Corp remportaient les European Masters (EUM), le championnat européen du jeu League of Legends. Au total, 296 000 personnes ont regardé leur performance en direct sur Twitch, dont plus de 200 000 depuis la chaîne d’OTP, le diffuseur tricolore officiel. Un engouement pour l’e-sport – les compétitions de jeux vidéo – qui se confirme d’année en année en France : lors des deux dernières éditions du tournoi européen, les rencontres suscitant les plus grosses audiences étaient systématiquement celles de clubs hexagonaux.

Une ferveur sans pareille d’abord liée à d’excellents résultats. Cette année, trois équipes françaises composaient le dernier carré des EUM. « Passer par la LFL [la League française de League of Legends, le championnat national], c’est un peu comme à une certaine époque passer par Arsenal », explique le sociologue et spécialiste de l’e-sport, Nicolas Besombes. Mais la France s’impose aussi comme une nation dominante sur d’autres jeux : l’équipe tricolore Vitality est considérée comme l’une des meilleures au monde sur Rocket League ; champions d’Europe en titre, les Français sont également montés sur la plus haute marche du podium mondial en 2019 ; et sur le jeu de tir Counter-Strike : Global Offensive, c’est le Lensois Zywoo (de son vrai nom Mathieu Herbaut), qui a été élu meilleur joueur du monde en 2019 et 2020.

L’« esportainement » à la française

« En France, on a un écosystème très dynamique depuis la fin des années 1990. Il y a beaucoup de compétitions. (…) On a un tissu associatif avec beaucoup d’acteurs répartis sur tout le territoire », analyse Nicolas Besombes. Plus de 80 rassemblements ont lieu chaque année, dont certains ont révélé des talents : Kinstaar et Hunter, par exemple, se sont fait connaître du grand public en 2018 à la Lyon e-sport, avant de se qualifier un an plus tard aux championnats du monde de Fortnite. Des tournois au rôle central donc, auxquels il faut ajouter un vivier de joueurs important : en 2021, 4,2 millions de Français pratiquaient le jeu vidéo à un niveau compétitif, selon l’association France Esports, soit une hausse de 900 000 par rapport à 2020. En trois ans, ce nombre a même doublé puisque la discipline ne rassemblait que 2 millions d’adeptes en 2018.

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Au-delà des performances sportives, l’e-sport français se distingue aussi par son aspect communautaire, beaucoup plus marqué que chez ses voisins européens. Et pour cause, ces dernières années, de nombreuses structures se sont développées autour de personnalités déjà connues et appréciées par les plus jeunes : les streamers. La Karmine Corp, par exemple, s’est construite sous l’impulsion de Kameto et de Prime, deux figures de l’Internet francophone.

Kamel Kebir, alias Kamet0, et Amine Mekri, alias Prime, après une interview avec Le Monde. Ils prennent la pose quelques minutes avant un stream de la Karmine Corp à Paris, le 12 mai 2021.

« Quand il y a des gens que t’aimes bien qui lancent un projet, forcément tu vas jeter un coup d’œil. Et si derrière le projet plaît, c’est plus facile d’être fédéré que si c’était un inconnu », explique Sakor Ros, président de Solary. Sa structure, créée en octobre 2017 par plusieurs streamers reconnus, comme Chap ou encore Jbzz, rassemble aujourd’hui plusieurs centaines de milliers de supporteurs. « Il y a plein de gens qui nous disaient “je ne regardais pas forcément d’e-sport avant, mais quand vous avez lancé le projet, je me suis attaché à l’équipe, ça donne envie de supporter” », raconte-t-il. Les structures plus anciennes utilisent elles aussi ce levier, comme l’équipe Vitality, créée en 2013, qui possède aujourd’hui des ambassadeurs sur les réseaux sociaux. « Ils permettent de propager les valeurs de l’équipe, explique Fabien Devide le président de Vitality. De raconter une histoire, de créer un sentiment d’appartenance et de sympathie. »

Avec des communautés pouvant atteindre plus d’un million de spectateurs, les streamers ont donné un nouveau souffle à la discipline, en créant ce que Sakor qualifie d’« esportainement », un mélange de compétition et de divertissement grand public. L’e-sport touchait avant « principalement des classes sociales plutôt aisées, qui avaient une appétence pour le milieu informatique et le jeu vidéo », relève Nicolas Besombes. A présent, aidés par un accès plus facile aux matchs (la plupart sont aujourd’hui retransmis en direct sur Twitch ou YouTube), les streamers ont « touché une audience plus populaire, plus diversifiée ».

Intégration dans la vie quotidienne

Avec eux, ces nouveaux fans apportent la culture du supportérisme et de l’ultra. Pancartes et hymnes préparés en amont, ils donnent de la voix et de leur personne pour leur équipe favorite. L’ambiance, qui rappelle désormais celle des grandes rencontres de football, donne une tout autre dimension aux tournois. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui a motivé la superstar mondiale Rekkles à signer chez la Karmine Corp : « Je les regardais et les supportais sur le stream français et le ressenti était si agréable. (…) Je savais que ça allait être fou quand je les rejoindrais, mais à ce point, jamais », témoigne-t-il auprès de la journaliste Laure Valée.

Lors de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron confiait au site The Big Whale son souhait d’accorder plus de place à l’e-sport : « Nous avons, à cet égard, une opportunité historique : celle des JO de 2024. A nous d’en profiter pour faire le lien entre les Olympiades des deux mondes en accueillant cette année-là les plus grands événements e-sportifs mondiaux. » Même si cette déclaration était faite dans un contexte électoral, elle reste révélatrice de l’intégration de la discipline dans le quotidien des Français. De plus en plus de villes de l’Hexagone accueillent des compétitions, à l’image de Strasbourg, qui a reçu la finale de la Trackmania Cup en 2019, ou de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) qui organisera une journée de LFL le 21 juillet. Quant aux clubs de sports traditionnels, ils réduisent eux aussi la frontière avec le sport en ligne. Depuis janvier 2020, l’Olympique lyonnais est par exemple partenaire de l’équipe française LDLC.

Il faut dire que le potentiel du secteur séduit de plus en plus les investisseurs. Alors qu’ils n’injectaient que 5 millions d’euros en 2017, ce chiffre est passé à 29 millions en 2019, selon une étude du Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques. Une vitalité financière qui permet d’attirer des joueurs talentueux de toute l’Europe et d’offrir toujours plus de performances aux fans. Une boucle vertueuse qui montre que l’e-sport a réussi en quelques années à devenir, selon les mots de Nicolas Besombes, « un fait social total ».

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