pourquoi les caméras dopées aux algorithmes cristallisent les tensions

Une caméra de surveillance


Le projet de loi des JO de Paris autorise l’expérimentation de caméras intelligentes qui inquiètent les associations de défense des droits civils, soucieuses de voir ce dispositif, jugé disproportionné et injustifié, être généralisé.

« Vive inquiétude », « surveillance injustifiée et disproportionnée dans l’espace public, au détriment des droits fondamentaux et des libertés »… Dans une tribune au Monde publiée ce lundi 6 mars, un collectif d’organisations internationales s’inquiète du projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (JO). Son article 7, qui vise à assurer la sécurité lors de l’événement, permet l’utilisation de caméras dotées d’algorithmes censés détecter des « comportements anormaux », à titre expérimental et jusqu’au 30 juin 2025. Il ferait de la France « le premier État de l’UE à légaliser de manière explicite ce genre de pratiques », s’alarment ces associations au rang desquelles on peut trouver Amnesty International, Human Rights Watch, Privacy International ou encore AlgorithmWatch.

Cela fait plusieurs mois que la future loi olympique fait réagir la société civile et les associations de défense des droits civils. Le législateur, après le fiasco de la finale de la Ligue des champions en mai dernier au Stade de France, a souhaité se doter d’outils supplémentaires pour éviter qu’un tel événement ne se reproduise pendant les JO de Paris. Parmi eux : l’utilisation de caméras qui surveilleraient le public, et dont la collecte d’images serait analysée par de l’IA, cristallise particulièrement les inquiétudes. En novembre déjà, la Quadrature du Net avait poussé un cri d’alarme dans les colonnes du Parisien, estimant que cette loi était en fait « un prétexte pour franchir un nouveau degré dans la surveillance généralisée ». Même son de cloche chez les avocats pour qui « les Jeux olympiques (pourraient) se transformer en concours Lépine des atteintes aux libertés individuelles », selon les mots de Jérôme Gavaudan, le président du Conseil national des barreaux.

Le texte permet en effet l’utilisation de caméras augmentées – fixes ou embarquées dans des drones – définies comme des outils à disposition des forces de l’ordre qui les aideraient à assurer la sécurité de la dizaine de millions de spectateurs attendus. Ces caméras attireraient l’attention de la police sur « des événements prédéterminés » dont la liste n’est pas encore arrêtée, elle le sera par décret. Mais on peut déjà imaginer qu’il pourrait s’agir de colis abandonné, de mouvements de foule, d‘« événements anormaux » ou des « situations présumant la commission d’infractions », évoqués par l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi.

Un « précédent inquiétant en matière de surveillance injustifiée et disproportionnée dans l’espace public »

Le texte prévoit bien des garde-fous  – qui ne rassurent pas ses détracteurs : ni la reconnaissance faciale, ni les données biométriques ne seraient utilisées. La Commission nationale informatique et libertés (Cnil), la gardienne française des données personnelles, devrait évaluer le dispositif. Et la surveillance serait toujours placée sous un contrôle humain, avec la possibilité d’être interrompue à tout moment. Problème : ce sera bien l’IA qui scannerait des millions de personnes, et qui séparerait le normal de l’anormal . En d’autres termes, le système sera entraîné pour détecter les situations anormales grâce à des paramètres, des critères définis par des entreprises privées – de quoi remettre en cause le monopole de la force publique sur la surveillance de la voie publique, même si c’est bien un agent public qui décidera d’agir ou pas, une fois averti par le système.

Pour le collectif d’organisations internationales qui demande le retrait de cet article, « ces mesures de surveillance introduites sont contraires au droit international relatif aux droits humains, dans la mesure où elles ne satisfont pas aux principes de nécessité et de proportionnalité, et impliquent des risques inacceptables par rapport à plusieurs droits fondamentaux tels que le droit à la vie privée, le droit à la liberté de réunion et d’association et le droit à la non-discrimination ». En droit, les exceptions aux libertés doivent toujours être légitimes, nécessaires et proportionnelles. Pour le collectif, ce dispositif va bien trop loin et ne répond pas à ces trois critères. Car la vidéosurveillance en matière de prévention des infractions et des menaces à la sécurité n’a pas été prouvée, et les risques pour les droits fondamentaux sont trop élevés, explique-t-il.

Une fois adoptées, ces règles d’exception pourraient survivre aux Jeux olympiques

Autre problème soulevé : le fait que ces mesures, censées ne s’appliquer qu’à titre exceptionnel pendant les JO, pourraient être généralisées par la suite. Car le texte propose d’abord d’expérimenter les caméras dès l’entrée en vigueur de la loi – elle pourrait concerner la prochaine coupe du monde de rugby. Mais il prévoit surtout de conserver ce dispositif jusqu’en juin 2025 – soit dix mois après septembre 2024, la fin des JO de Paris – pour les « manifestations sportives, récréatives ou culturelles » exposées à des risques « d’actes de terrorisme ou d’atteinte grave à la sécurité des personnes ». L’objectif serait de disposer d’une durée suffisamment longue pour évaluer l’efficacité d’un tel dispositif.

Mais beaucoup craignent que ce recours à des caméras intelligentes finissent par devenir, après avoir été l’exception, la règle. « Il est rare que ces mesures dites “d’exception” soient levées rapidement. En lieu et place, les mesures de surveillance et de contrôle deviennent la norme », écrit le collectif, comme cela a été le cas pour certaines mesures d’urgence de lutte contre le terrorisme. Et cela pourrait devenir « un précédent dangereux pour d’autres pays européens, la France devenant un leader des politiques de surveillance au sein de l’UE ». Reste à savoir si ce message sera entendu. Le projet de loi, adopté par le Sénat le 31 janvier, doit désormais être discuté au sein de l’Assemblée nationale dans les prochains jours.

Source :

Le Monde



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