quand un jeu vidéo de course automobile remplit Bercy

quand un jeu vidéo de course automobile remplit Bercy


« Je me suis retrouvée debout à hurler, mais je ne me rappelais même pas m’être levée ! » Paris-Bercy était en feu samedi soir. Ce ne sont pas des artistes musicaux que Sarah et quinze mille autres spectateurs étaient venus voir, mais des virtuoses de la manette. Le palais omnisports parisien recevait la Trackmania Cup, une compétition d’e-sport sur le jeu de course Trackmania, édité par l’entreprise française Ubisoft.

Dès le début de l’après-midi, les fans étaient nombreux à attendre l’ouverture des barrières. « On se retrouve entre passionnés de jeu vidéo, on va avoir des frissons, l’objectif, c’est de ne plus avoir de voix ! », se réjouissent Océane et Manon, venues spécialement de Toulouse. L’ambiance est déjà bon enfant. Régulièrement, la foule impatiente entonne des chants ou applaudit les passants qui arborent un tee-shirt où figure le nom ZeratoR.

L’événement est organisé par ce streameur français qui compte 1,4 million de followers sur la plate-forme de streaming vidéo Twitch. De son vrai nom Adrien Nougaret, il a créé la compétition en 2013. A l’époque simple rassemblement en ligne, la coupe attire pourtant un public toujours plus grand. Si bien qu’en 2016 il loue la salle du Grand Rex et ses 2 800 places. Ce sont ensuite 7 700 spectateurs qui répondront présents, à Strasbourg cette fois, en 2019. « On va regarder un jeu de voitures, c’est un peu la F1 de notre génération », rigolent Marion et ses amis.

« On a besoin d’événements joyeux »

Le spectacle commence à 18 heures. Car si, officiellement, tout le monde est venu voir de l’e-sport – du jeu vidéo compétitif –, en réalité c’est bien le show qui attire. « [Les organisateurs de compétitions d’e-sport] essaient trop de calquer le sport traditionnel. J’ai décidé de créer quelque chose de plus rigolo pour les spectateurs, un peu à la bonne franquette », sourit ZeratoR, interrogé la veille par Le Monde, alors qu’il était reçu à l’Elysée par Emmanuel Macron. Le compte à rebours défile et la salle explose alors qu’est lancée la Trackmania Cup 2022.

Pour la première demi-finale, quatre duos s’affrontent sur scène. En maître de cérémonie, ZeratoR anime et commente la compétition, également retransmise en direct sur sa propre chaîne Twitch. Le ton est très éducatif, de façon à ce que tout le monde, y compris les très nombreux spectateurs venus pour le show mais peu familiers avec le jeu de course, comprenne. « On a besoin d’événements joyeux comme celui-là. Ça nous manquait aujourd’hui. Là, il y a une compétition, mais on est tous là pour se marrer finalement », raconte Florence, 58 ans.

Pour une soirée, la grande scène de l’AccorHotels Arena s’est transformée en piste de course.

A chaque action, le palais omnisports vibre en même temps que les joueurs. Très rapidement, la première d’une longue série de ola est lancée par un public friand de ces animations. Tout est prévu pour rendre plus attractive la compétition : au lieu de jouer à la manette ou au clavier, les athlètes devront par exemple, le temps d’une manche, jouer avec un manche à balai similaire à ceux utilisés dans les avions. Plus tard, un circuit de voitures de course radiocommandées est monté au milieu de l’arène et remplace ceux, virtuels, des ordinateurs.

Sentiment d’appartenance

Les émotions sont partagées par un public large, qui ne se résume pas qu’à des hommes dans la vingtaine. On retrouve parmi eux des familles, comme Soraya et sa fille de 12 ans, Linaly. La maman est passionnée par le jeu vidéo et lui a fait découvrir cet univers, auquel l’adolescente a tout de suite accroché. « Je lui ai offert les places en cadeau d’anniversaire, je suis très contente de partager ce moment avec elle ce soir », témoigne Soraya, tout sourire.

Linaly, 12 ans, fan de « Trackmania », ne quitte pas des yeux la grande scène, sur laquelle les joueurs s’affrontent. Le spectacle va durer près de cinq heures !

Au bout de presque deux heures, la deuxième demi-finale débute. C’est celle que l’arène entière attendait. Sur scène montent les plus grands joueurs du moment, comme le Français Gwen, qui à 17 ans a déjà remporté les deux dernières éditions. Mais aussi le Canadien CarlJr et son coéquipier français Bren, chouchous indiscutés du public. La foule se réchauffe encore. Chaque action le fait réagir et tout le monde a les yeux rivés sur ce qui sera la demi-finale la plus spectaculaire de l’histoire de la compétition.

Champion invétéré, CarlJr met le premier un pied en finale. Tous les regards se tournent alors sur son binôme Bren, qui a la qualification au bout des doigts. Mais les autres concurrents ne se laissent pas faire et les balles de match se succèdent sans se concrétiser. Le duo se fait remonter. Les quinze mille spectateurs retiennent leur souffle : le joueur qui remporte la prochaine manche décrochera la dernière place en finale. La course est serrée, tout le monde est debout et n’ose plus rien dire. Au bout d’une très longue minute, Affi franchit en premier la ligne d’arrivée. Les cris de joie retentissent dans l’arène.

Tout le public a vibré jusqu’à la fin de la compétition. Si les visages sont tendus, c’est la joie qui y figurera quelques instants après dans une ferveur commune.

« J’ai trop d’émotion, tout le monde est debout à crier pour les joueurs. On a vraiment l’impression d’appartenir à quelque chose. Tu ne peux pas voir ça et dire que le jeu vidéo ça isole ou rend violent ! Dans la demie, tout le monde était à fond, et même si Carl et Bren ont perdu, c’était incroyable ! », témoignent Orens et Philipéon, les yeux pétillants. Partout, la même ferveur. On retrouve Sarah : « L’intensité était si forte ! On ne peut plus parler du gameur boutonneux après ça : on vient de remplir Bercy ! C’était bouillant ! »

Le fair-play est de mise. Même si certains sont déçus de ne pas voir leurs protégés continuer, tout le monde félicite les grands finalistes. « On s’en fiche de la victoire, parce que c’est avant tout un show. On vient pour se détendre, profiter d’un bon moment. (…) On est allés à la Trackmania Cup, mais pas pour voir du Trackmania », résume Owen.

« Avant, le jeu vidéo, c’était honteux ; maintenant, c’est une fierté »

Jusqu’à la fin se déroule un show digne des plus grands spectacles, dans une salle qui, en 2019, avait accueilli la finale des championnats du monde de League of Legends, un jeu de stratégie américain au moins dix fois plus populaire. Dans la dernière ligne droite, la pression est pourtant au maximum tant chez les joueurs que parmi le public : tous sont impatients de savoir qui sera le grand champion de cette dixième édition de la Trackmania Cup.

Ultradominants, le duo Gwen-Affi se hisse rapidement en finale, avec quarante points d’avance sur leurs concurrents. A nouveau, le public tout entier se lève, pour finalement exulter à l’unisson lorsque Gwen remporte la dernière course de la compétition. Tradition oblige : le duo soulève quelques instants plus tard son trophée, au milieu d’un public qui fait trembler le palais omnisports tout entier. Dans le micro, ZeratoR, fidèle à l’un de ses gimmicks, fait la comptabilité du nombre de spectateurs (et téléspectateurs) : « Devant près de deux cent mille viewers, Affi et Gwen soulèvent leur premier titre ! »

Alors, après cinq heures de spectacle, Bercy se vide progressivement de ses spectateurs, qui repartent conquis par ce qui restera la dernière Trackmania Cup. « Je pense qu’on a atteint l’apogée, on ne fera pas mieux, il faut savoir s’arrêter et se renouveler », analysait ZeratoR la veille. De simple compétition en ligne à Paris-Bercy, la Trackmania Cup aura emporté toute une génération de joueurs. Devant les portes, Jean-Etienne, 25 ans, s’enthousiasme encore : « Avant, le jeu vidéo, c’était honteux ; maintenant, c’est une fierté ! »

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