Comme à son habitude, Sundar Pichai a ouvert la keynote de la Google I/O, rapidement deux mots se sont imposés : IA et responsabilité. La conférence annuelle des développeurs Google revêt en effet une importance toute particulière cette année : la tempête ChatGPT est passée par là, et le géant américain se devait de réagir. Alors, Google a appuyé très fort sur l’accélérateur.
Tout au long d’une conférence sans fin, Pichai et ses sbires ont ainsi égrené d’innombrables fonctions d’IA générative qui vont débarquer sur l’ensemble des services Google dans les mois qui viennent. Y compris dans ses produits les plus populaires, comme Gmail et… la recherche sur le Web. « Nous allons modifier tous nos produits phares avec l’IA » a dit Pichai en introduction. Il n’a pas menti. Voici ce qui va changer bientôt sur Google. On préfère vous prévenir : c’est long.
Tout repose sur de nouveaux modèles : Palm 2 et bientôt Gemini
Avant d’évoquer les innovations promises par Google, il est important d’écrire quelques mots sur la technologie qui les propulse. Google a en effet dévoilé l’existence de Palm 2, son nouveau grand modèle de langage. C’est une évolution de… Palm, qui était déjà l’un des plus grands modèles du monde et concurrent direct du GPT d’OpenAI.
Google n’a pas traîné : désormais, l’entraînement de Palm 2 est terminé… Et il anime déjà Bard ainsi que 25 nouvelles fonctions, dont celles qui sont présentées ci-dessous.
Qu’apporte Palm 2 ? Google ne donne pas beaucoup de détails, mais évoque un meilleur entraînement sur plus de 100 langues différentes, ce qui devrait largement améliorer ses performances de rédaction. Il a également digéré un important corpus scientifique, ce qui lui offre, selon son créateur, de meilleures capacités de raisonnement et de logique. Enfin, Palm 2 est un bien meilleur codeur : il maîtrise davantage de langages et s’est amélioré sur ceux qu’il connaissait déjà bien.
Il est aussi plus facile à déployer, sur différents types de machines. Google a notamment évoqué Gecko, une itération de Palm 2 tellement légère qu’elle peut s’exécuter localement, sur un simple smartphone… et agir sans connexion à Internet.
Pas question de se laisser dominer par OpenAI, qui avance lui aussi à grand pas. Alors qu’il vient d’annoncer Palm 2, Google a par ailleurs dit déjà travailler sur Gemini, son successeur… Toujours en entraînement.
Google en passe de changer radicalement son moteur de recherche
Google intègre l’IA générative dans son principal produit, et il n’y a aucun doute : ces changements feront débat. On pourra en effet bientôt poser des questions complexes en langage naturel depuis la bonne vieille boîte de recherche de Google.fr. Et l’IA y répondra, par le biais d’un nouvel encart, verdâtre et immense, au-dessus des résultats traditionnels. On pourra alors affiner sa question, ou cliquer sur l’une des suggestions du moteur.
Cette boîte indique bien que l’IA générative est « expérimentale » mais relègue pourtant les résultats traditionnels au second rang, si ce n’est quelques liens triés sur le volet, utilisés pour la génération de la réponse.
Google a pris bien des pincettes lors de la présentation de cette fonction clé : il ne s’agit que d’un test, qui sera d’abord proposé par le biais de sa nouvelle initiative Labs. Mais cela augure certainement de la direction que veut prendre l’entreprise dans le futur. Et cela pourrait bien provoquer de sacrés remous. On pense notamment à l’intégration profonde, dans ces résultats génératifs, de Google Shopping, longuement vanté durant la conférence. Google Shopping qui a pourtant valu à Google une amende record de 2,4 milliards d’euros par la justice européenne pour abus de position dominante…
Gmail va vous aider à écrire vos courriels
Première annonce qui va ravir les flemmards. Gmail sera bientôt doté d’une nouvelle fonction, baptisée en anglais Help Me Write (Aide-moi à écrire). Le principe ? Ce petit module va analyser les missives que vous avez reçues… Et vous aider à y répondre. Exemple montré sur scène : en quelques secondes Help Me Write crée automatiquement une demande de remboursement de billet d’avion, en réponse à un “prompt” de quelques mots. Il est ensuite possible d’affiner sa réponse, de la rendre plus concise, ou, au contraire, plus argumentée.
Maps : bientôt vos itinéraires en 3D
Oh que c’est beau ! Difficile d’introduire de l’IA générative dans Maps, mais Google a quand même offert une « croquette » aux innombrables utilisateurs de son service de cartographie. Immersive View for Routes est une vue 3D qui permet de survoler l’itinéraire que vous vous apprêtez à prendre. C’est très joli, et réalisé grâce aux millions de photos combinées de Google Street View. Vous pourrez même voir une simulation du trafic en temps réel et de la météo. Ce service sera disponible dans une quinzaine de (très grandes) villes avant la fin de l’année, dont Paris.
Photos Magic Editor, l’IA qui transforme vos photos
Voilà déjà plusieurs années que Google vous permet de modifier grâce à l’IA vos photos hébergées sur son service de stockage de clichés : gomme magique, suppression du flou, etc. C’est bien joli, mais Google Photos va bientôt passer à la vitesse supérieure. On pourra ainsi l’utiliser pour truquer complètement une photo et générer des effets bluffants : modification du ciel pour en faire disparaître les nuages, déplacement d’un sujet au premier plan… Magic Editor pourra même compléter une photo mal cadrée en inventant les éléments qui manquent, comme, ici, un bout du banc et quelques ballons.
Bard rattrape son retard sur ChatGPT
Google l’assure : Bard est désormais plus intelligent. C’est heureux, tant il nous a semblé à la traîne face à ChatGPT, il y a quelques semaines ! Mais il fonctionne maintenant avec le nouveau modèle Palm 2. On passe vite sur l’apparition d’un thème sombre… pour évoquer ce qui est selon nous la nouveauté la plus intéressante : son interopérabilité avec de nombreux services Google et tiers. On pourra par exemple connecter Bard à Maps pour présenter un résultat sous forme de carte, à Google Images pour qu’il présente des photos aux côtés d’un texte, ou à Sheets pour exporter un tableau que l’IA vient de générer.
Et, comme le prépare OpenAI avec les “plug-ins” de ChatGPT, il sera aussi possible de profiter de l’expertise de services tiers, comme Wolfram Alpha, Kayak ou encore Adobe, avec qui Google a signé un partenariat dans la génération d’images.
Autre nouveauté particulièrement intéressante : Bard va accepter non seulement du texte, mais aussi des images en entrée, grâce à Google Lens. Là encore, c’est une fonction que promet ChatGPT, mais qui n’est pas arrivée.
Enfin, une bonne et une mauvaise nouvelle : Bard est désormais disponible dans 180 pays dont la France… mais toujours en anglais seulement. Google l’assure toutefois : 40 langues supplémentaires seront bientôt disponibles, dont le français.
Workspace : Google dope sa suite bureautique à l’IA
« Vous collaboriez avec des humains, désormais, vous pouvez aussi collaborer avec l’IA ». Google a implémenté des outils d’IA générative dans ses produits bureautiques que sont Docs, Sheets et Slides. Et cela ressemble beaucoup à ce que Microsoft a présenté pour ses propres outils il y a quelques semaines. Il suffit d’ouvrir un petit module, baptisé Sidekick en interne, situé à droite de l’interface. Comme Copilot, de Microsoft, celui-ci va vous proposer de générer pour vous du texte, des tableaux, des diapositives pour vos présentations, des résumés de vos mails… Quelques exemples :
- Docs génère du texte en fonction d’une requête grâce à la nouvelle fonction « Help me Write »… Et analyse la totalité du document pour vous permettre de le compléter automatiquement.
- Sheets peut aussi générer des tableaux automatiquement : décrivez votre demande dans Sidekick et hop, votre feuille de calcul prête à l’emploi s’affiche en quelques secondes.
- Slides, le Powerpoint version Google, profite aussi de ces innovations : on peut utiliser Sidekick pour générer des images à insérer dans une présentation et même… le laisser créer le discours que vous devrez prononcer à chaque diapositive.
Google, chantre de l’IA responsable ?
Pour définir le cap qu’il suivra, Google a donné la parole à James Manyika, senior vice-président au sein de Google et d’Alphabet, qui supervise Google Research et Google Labs. Celui qui est également docteur en AI et robotique remettait en perspective le contexte actuel : « l’IA est une technologie qui est toujours émergente, et pour laquelle il y a beaucoup à faire.» Une prudence, qui, après l’immobilisme de façade des derniers mois, a trouvé une expression volontariste dans un credo maintes fois répété pendant la keynote d’ouverture de la Google I/O 2023, y compris par James Manyika : « Construire une IA innovante demande une approche responsable ».
Ainsi, pour éviter que l’IA ne renforce les biais, ou ne servent de mauvaises intentions, pour faire en sorte qu’elle soit utile à tous, Google a décidé d’appliquer les sept principes qu’il avait édictés en 2018, comme des lois de la robotique pour l’IA :
- Etre bénéfique socialement
- Eviter de créer ou de renforcer des biais
- Etre conçue et testée avec la sécurité en tête
- Etre responsable devant les utilisateurs
- Intégrer les principes respectueux de la vie privée
- Maintenir des standards d’excellence scientifique exigeants
- Etre mis à disposition pour des usages qui sont en accord avec ces principes.
En accord avec ces lignes directrices, Google va notamment mettre en place un moyen de watermarker les images créées par une IA, et de savoir facilement depuis son moteur de recherche dans quels contextes elles ont été diffusées, sur quels réseaux sociaux, etc. Un peu plus tard, cette année, Google Lens, sur smartphone et via Chrome, permettra également d’identifier plus facilement un cliché pour savoir d’où il vient et s’il est « synthétique » ou réel.
Une partie de ce travail d’identification reposera sur un ensemble de métadonnées qui seront liées aux images générées par les IA. Il sera ainsi possible de savoir si un cliché particulièrement choquant a été fabriqué par un outil de Google. Un travail de fond devra également être fait avec les autres acteurs du Web et de l’IA pour généraliser une telle traçabilité. C’est un chantier colossal que Google semble vouloir accompagner, si ce n’est mener, avec des outils qu’il a déjà développés, comme Perspective API, notamment. Le groupe de Mountain View s’intéresse également à l’audio et à la vidéo, autres domaines de grand progrès pour l’IA générative et autres domaines aux potentiels aussi enthousiasmants qu’inquiétants.
Android, l’ère de la personnalisation grâce aux IA génératives
Si la majeure partie de la Google I/O a été dédiée à l’intelligence artificielle, Google ne pouvait évidemment pas faire l’impasse sur Android, son OS star. D’autant que cette année est une année importante : Android 14 va en effet s’ébattre officiellement sur des écrans plus grands qu’il s’agisse de ceux des Pixel Fold ou des Pixel Tablet.
Pour sa tablette, Google a mis en avant ses applications revues spécialement pour profiter d’écrans plus larges, 50 faites maison et celles d’éditeurs tiers, ainsi qu’un multitâche bienvenu. Mais il a aussi et surtout présenté des comptes utilisateurs – hello Apple, c’est pour quand ? – qui permettront à chacun de préserver sa vie privée même sur un appareil partagé avec toute la famille.
Par ailleurs, Google a présenté une nouvelle version de “Localiser mon appareil”, qui s’inspire d’Apple, et repose sur un réseau composé des appareils Android. Des tags, qui fonctionnent avec ce réseau, ne vont pas tarder. Et, bien entendu, les représentants du géant américain se sont félicités de l’effort conjoint mené avec Apple pour éviter le tracking indésirable, que les utilisateurs soient sur Android ou iOS.
Google a également profité de ce rapprochement avec son meilleur ennemi pour lui planter une banderille dans le dos, en rappelant qu’Apple fait toujours la sourde oreille pour l’adoption du RCS, remplaçant moderne des SMS. Pourtant plus de 800 millions de personnes utilisent ce protocole chaque mois, et le cap du milliard devrait être dépassé d’ici la fin d’année, se réjouit Google. « Nous espérons que tous les systèmes d’exploitation mobiles vont recevoir le message », s’est amusé Rick Osterloh, vice-président en charge des produits et des services, devant une salle hilare.
Mais au-delà de ces combats, Android 14 sera la version de la personnalisation grâce aux intelligences artificielles génératives. Il sera ainsi possible dans Google Messages de faire appel à la fonction Magic Compose pour écrire un message, dans différents styles (Enthousiaste, Calme, Shakespeare, etc.) quand on n’est pas en verve.
La personnalisation passera aussi par l’interface, et reposera en partie sur Material You. Il sera possible de personnaliser son écran verrouillé et de créer des fonds d’écran plus ou moins « interactifs », avec des effets de perspective notamment. Soit à partir d’emojis qu’on aime particulièrement, soit à partir de photos ou de prompts. Ces nouveautés arriveront évidemment sur les Pixel en avant-première, et dès le mois prochain pour certaines. Les autres arriveront à l’automne.
Google ouvre ses Labs aux testeurs les plus impatients
Si ce futur débordant d’IA vous fait de l’oeil, sachez que quelques-uns des projets dévoilés par Google au cours de sa keynote sont d’ores et déjà accessibles… via une liste d’attente. Quatre projets sont particulièrement mis en avant – mais tous ne sont pas encore « ouverts » : Google Search, Google Workspace, Project Tailwind, et MusicLM. Vous pourrez tenter de faire partie de l’avant-garde des testeurs de ces deux derniers projets en vous rendant sur ce site. Bon courage pour la queue…
Et pour finir, quelques produits !
Comme si tout cela ne suffisait pas, Google a aussi présenté du hardware durant cette conférence chargée. A commencer par un smartphone pliant, le Pixel Fold, mais aussi le Pixel 7a, une déclinaison plus abordable de son smartphone… et enfin, une tablette séduisante et chère, la Pixel Tablet. Ouf !