« Solo Leveling », le webtoon sud-coréen parmi les BD les plus populaires en France

« Solo Leveling », le webtoon sud-coréen parmi les BD les plus populaires en France


Après la plate-forme de BD en ligne Verytoon (éditions Delcourt), sa concurrente Piccoma propose à ses lecteurs français, à partir du lundi 19 septembre, le webtoon (BD sur smartphone) sud-coréen Solo Leveling. Une aubaine pour les lecteurs comme pour le distributeur japonais, branche nippone du sud-coréen Kakao, qui cherche à conquérir la France depuis le mois de mars. Traduit en neuf langues, et avec plus de quatorze milliards de pages vues dans le monde, Solo Leveling est l’un des fers de lance de l’engouement international pour ce nouveau média dessiné, avec Noblesse, Tower of God ou True Beauty.

Depuis son lancement en 2020, Verytoon revendique ainsi « près de 500 000 épisodes lus en ligne sur [sa] plate-forme ». Sans compter le succès de la version en BD papier de la série, adaptée par Delcourt sous le label Kbooks : l’ensemble des six albums déjà parus se sont vendus à « un peu plus de 900 000 exemplaires », selon l’éditeur. Solo Leveling fait partie du top 10 des meilleures ventes de mangas – les albums tirés de webtoons sud-coréens étant classés dans cette catégorie – en France, en 2021, selon le cabinet d’études GfK, cité par le site spécialisé Actualitté.

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Avant d’être une BD numérique, Solo Leveling est une série de quatorze romans écrite par Chugong et publiée à partir de 2016 sur la plate-forme sud-coréenne Kakao Page. La série transpose des éléments d’heroic fantasy dans une société moderne : depuis dix ans, des « portails » se sont ouverts à travers le monde, sorte de portes éphémères entre la Terre et des « donjons », des espaces dangereux où se tapissent des créatures fantastiques, mais aussi des ressources inestimables. En parallèle, certains humains ont développé des facultés de chasseurs et sont envoyés explorer ces territoires hostiles avant que les monstres ne débarquent et ravagent des villes.

Les chasseurs ne sont pas tous égaux et certains sont plus forts que d’autres. De même pour les guildes les regroupant dans différents pays du globe. Le héros, Sung Jinwoo, en sait quelque chose : l’adolescent a la notoriété d’être le chasseur le plus faible. Un état de fait qui ne peut être a priori changé, les chasseurs ne pouvant pas augmenter en force dans le récit. Sauf que, frôlant un jour la mort, Sung Jinwoo se voit embarquer dans un jeu parallèle à son monde qui va, à la différence des autres, lui permettre de gagner en compétences et en niveaux à travers différentes quêtes auxquelles il ne peut se soustraire.

Planche du tome 1 de l’adaptation en album papier du webtoon « Solo Leveling ».

Un récit qui flirte avec les jeux de rôle

Pour se démarquer, Chugong avait à cœur de rechercher « la nouveauté dans le “connu”, et le “connu” dans la nouveauté », explique-t-il au Monde par e-mail. « L’heroic fantasy dans un monde moderne était, pour moi, un bon compromis permettant à la fois d’intégrer de la fraîcheur mais également rester dans des codes connus par les lecteurs. Je suis heureux que cela ait fonctionné. »

Outre la fantasy, sa série est indéniablement influencée par les jeux vidéo, notamment les jeux de rôle, tant dans le fonctionnement des mondes que dans les règles auxquelles sont soumis les personnages. La lecture des différents chapitres peut faire penser à des univers, par exemple celui de Dark Souls. « J’ai passé beaucoup de temps sur Starcraft ainsi que sur League of Legends », confirme Chugong.

« En ce qui concerne les RPG [role-playing game], j’y ai joué un peu durant mon enfance, je ne suis donc pas le mieux placé pour en parler… Cependant, je pense que la force de ce genre vient de l’aventure. Avoir un persona, un avatar dans un autre monde, et découvrir ce dernier. C’est, à mon avis, ce qui attire le plus dans les RPG et c’est un élément qui est partagé par les romans. »

« Les webtoons comme les mangas sont des créations qui empruntent beaucoup à d’autres registres, les digèrent, y font référence. A ce titre Solo Leveling le réussit très bien », explique Pascal Lafine, directeur éditorial de Kbooks et Delcourt-Tonkam, qui rapproche aussi la série de l’isekai. Ce genre de mangas, très populaire, met en scène un héros banal transporté dans un autre monde, souvent fantastique ou proche d’un univers de jeu vidéo, et dans lequel il réussit mieux. Mais ici, au lieu d’être projeté dans une autre dimension, c’est le merveilleux qui s’invite dans celui du héros.

L’isekai s’est construit sur une certaine frustration face au monde réel et l’idée que l’on a droit à une deuxième chance. « J’ai souhaité permettre aux lecteurs d’échapper à leur vie avec une histoire franche et directe. C’est pour cette raison que mes récits comportent relativement peu de passages parlant des difficultés rencontrées par les héros. La vie réelle est déjà assez difficile à vivre, n’est-ce pas ? », interroge l’auteur.

Courber le destin

Si son héros, Sung Jinwoo, reste chasseur par devoir (pour aider financièrement sa famille) et prend part au jeu sous la contrainte, Chugong estime que c’est finalement ce qui lui permet d’échapper à son destin :

« Dans “Solo Leveling”, il existe des “quêtes quotidiennes” et cet élément est important pour moi : je pense que trouver le bonheur du présent dans le fait de travailler et de faire des efforts afin d’avoir un meilleur lendemain, et un meilleur soi, est le mieux que l’on puisse faire. Dans cette situation, peut-être que nous pourrons un jour changer notre propre destin. »

Planche du tome 1 de l’adaptation en album papier du webtoon « Solo Leveling ».

Bien qu’il se défende d’aborder des questions philosophiques ou politiques, Chugong esquisse une certaine image de la société. « On part de personnes qui sont peu de chose et se battent pour s’en sortir. Il y a de fortes inégalités avec aussi des gens fortunés, et des grosses entreprises qui exploitent les ressources retrouvées par les chasseurs, une sorte de business en temps de guerre », énumère Pascal Lafine. Une évocation qui n’est pas rare dans la pop culture sud-coréenne, rappelle Jessica Cohen, fondatrice et rédactrice en chef du magazine K-Society : « Le cinéma coréen peut être très corrosif sur certains sujets de société. On les retrouve, aussi, souvent, de manière romancée dans les dramas ou de manière extrapolée dans certaines séries, comme Squid Game. »

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A l’image de Gantz ou de Battle Royale, œuvres japonaises sur des jeux de massacres que l’auteur admet volontiers être parmi ses influences, Solo Leveling dépeint des situations cruelles, violentes, dans lesquelles les humains sont souvent des pions. Une noirceur justifiée pour le créateur : « Plus l’environnement est plongé dans les ténèbres, plus une petite lumière peut briller avec une grande intensité. »

Ces sombres récits, particulièrement exutoires en temps de crises (économique, écologique, sanitaire, etc.), sont aussi particulièrement intéressants pour pousser la moralité des héros dans leurs derniers retranchements, même quand ceux-ci sont amenés à tuer. Et les rendre d’autant plus humains, pour Chugong, qui a fait sien ce vers du poète Yun Dong-ju, « Jusqu’à la mort, fixer le ciel et ne souffrir d’aucune honte ».

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Pour expliquer le succès de Solo Leveling, Pauline Mendes, responsable des contenus smartoon (le nom donné aux webtoons sur sa plate-forme) chez Piccoma Europe, avance « le très grand nombre d’intrigues et d’interrogations » que le lecteur veut voir résolues. « Le “pourquoi” est un élément central », affirme Chugong, et ce dès qu’il a commencé à imaginer l’histoire. « Pourquoi les monstres et les chasseurs sont-ils apparus ? Pourquoi le “système” est tel ? Pourquoi Jinwoo doit-il devenir plus fort ? Solo Leveling est un roman destiné à répondre à toutes ces questions. »

Le plébiscite de Solo Leveling, notamment à l’étranger, ne peut être dissocié du travail du studio de webtoon Redice, qui a adapté, à partir de 2018, les romans en 179 chapitres de BD sur smartphone. Et du trait majoritairement salué de Jang Seong-rak, alias Dubu, disparu cet été. « Le dessin n’est pas toujours primordial dans un webtoon, en raison notamment du rythme de rendu hebdomadaire des auteurs, mais aussi parce que ce sont des lectures très très rapides. A l’inverse, Solo Leveling a un dessin très détaillé, dynamique, contrasté. C’est d’autant plus admirable », avance Jessica Cohen.

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Impossible, pour l’heure, de dire si le webtoon survivra à son dessinateur, avec des épisodes supplémentaires ou un spin-off, qui avait achevé une deuxième saison de la BD. De son côté, Chugong estime que son histoire en roman est terminée : « On m’a souvent demandé des épilogues, après la fin de l’histoire, mais je pense que je n’ai rien d’autre à raconter. » Pour autant, les amateurs de cette saga n’ont pas fini d’en entendre parler. Des adaptations en série animée et en jeu vidéo ont été annoncées. Côté librairies françaises, le septième tome de la BD est à paraître le 21 septembre.



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