« Sommes-nous encore capables d’éviter d’introduire l’IA dans les organisations du travail sans réel esprit critique ? »

« Sommes-nous encore capables d’éviter d’introduire l’IA dans les organisations du travail sans réel esprit critique ? »


Le 13 mars, la commission de l’intelligence artificielle, coprésidée par l’économiste Philippe Aghion (Collège de France) et Anne Bouverot, présidente du conseil d’administration de l’Ecole normale supérieure, a rendu sa copie à Emmanuel Macron. Cœur de la quatrième révolution industrielle, l’intelligence artificielle (IA) serait porteuse de promesses de croissance, de productivité, d’emplois, de gains de temps et de montée en compétence pour les travailleurs. S’ensuit la rhétorique technoscientifique, bien connue depuis des décennies, mettant en garde contre un « risque de déclassement économique » qui guetterait la France faute d’avoir pris le train à temps. Il y aurait donc urgence à agir.

L’élément le plus original du rapport vient sans doute de la présence dans la commission de Franca Salis-Madinier, secrétaire nationale de la CFDT cadres, unique représentant des salariés parmi ses membres essentiellement issus du monde du numérique. Ce qui a enfin permis d’aborder les questions de dialogue social par rapport au déploiement d’un système d’IA. Il y a en effet urgence à agir si nous ne voulons pas créer une fracture sociale sans précédent. D’autant que, comme l’affirme la sociologue Dominique Méda, « le monde du travail est déjà en crise » et nombre de salariés, employés ou cadres, et d’agents publics s’interrogent sur le sens du travail qui est aussi, comme le soulignent les chercheurs Coralie Perez et Thomas Coutrot, un enjeu majeur de santé publique.

Lire l’analyse de la chercheuse pour le projet du Liepp : | Article réservé à nos abonnés La transformation des organisations du travail en France, un défi qui reste à relever

Il est irréfutable que l’innovation technologique est un des moteurs de la croissance, mais il est tout aussi vrai que l’innovation sociale est indispensable à l’équilibre sociétal. Cet aspect social et sociétal est un enjeu primordial pour le futur de notre pays. Certes, l’enjeu de compétitivité et de souveraineté existe bien dans le rapport de la commission, mais comment peut-on envisager de plaquer sur les organisations, publiques ou privées, une innovation technologique controversée, aux conséquences profondes sur leur fonctionnement, dans un environnement social délétère ?

Nouvelle dynamique sociale

Pourtant, il est à noter que de nombreux organismes ont réalisé d’importants travaux, tel Sciences Po Paris avec sa médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » relayée par Le Monde et une conférence du Conseil économique, social et environnemental. Il est ainsi régulièrement démontré qu’une des caractéristiques de la France en matière de fonctionnement des organisations est le peu d’autonomie laissée aux salariés tant sur les objectifs de travail qui leur sont fixés que dans la participation aux décisions concernant leur travail. Quant à la santé psychique des salariés, le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa a souligné la « pandémie » de burn-out qui sévit dans les pays occidentaux.

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