Ce 17 mai 2020, ce ne sont pas moins de trois ministres qui ont tenu une conférence de presse, suivi d’une table ronde, pour annoncer le plan destiné à assurer l’autonomie du pays pour ses capacités d’hébergement Cloud tout en contribuant à une informatique européenne.
Cette annonce n’est pas sans rappeler celle du Président Charles de Gaulle en 1966, avec le Plan Calcul, destinée à assurer l’autonomie du pays dans les techniques de l’information, et à développer une informatique européenne. Le mot d’humour de GreenSI c’est qu’il suffit de remplacer « informatique », « calcul » ou « ordinateur » par « cloud », dans ce relevé de décision qui date de 55 ans, et on ne sera pas loin de l’annonce de 2020 😉
Le Plan Calcul nous rappelle d’ailleurs, avec le recul, qu’une fois l’annonce effectuée, tout est dans l’implémentation.
En effet, on sait maintenant que ce Plan Calcul aura eu des hauts (création de l’INRIA dans la recherche, développement de la filière de semi-conducteurs, …) et des bas (échec de produire des ordinateurs français performants sur le long terme, des Administrations obligées d’acheter des équipements progressivement moins compétitifs, …).
Mais pour revenir à cette nouvelle stratégie française du Cloud, il fallait également un « sacrifice originel » pour concrétiser le changement. C’est le contrat d’hébergement des données de santé par Microsoft, le fameux « Health Data Hub » – en français dans le texte – qui a été choisi. Il avait déjà reçu pas mal de plombs dans l’aile ces derniers mois, exacerbés par la crise sanitaire et l’importance cruciale des données de santé dans la gestion de la crise, mais maintenant, c’est décidé il sera rompu.
Le message de transformation digitale de l’État n’a peut-être jamais été aussi fort et associé au Cloud, éclipsant même un peu le label de confiance tant attendu.
Ce label reprend finalement le visa existant SecNumCloud, délivré par l’ANSSI pour les fournisseurs de service, et ouvre la possibilité de création d’entreprises, alliant actionnariat européen et technologie étrangère. C’était un point clef pour éviter de mettre de la R&D sur le chemin critique, avant de pouvoir multiplier les offres labellisées.
Sur ce point, cela ressemble à l’approche pragmatique utilisée pour la 5G par les États-Unis, qui tout en bannissant Huawei s’appuyait de facto sur de la technologie européenne (Ericsson, Nokia, …), sous contrôle d’opérateurs américains, le temps qu’ils rattrapent leur retard.
Cela va donc permettre aux opérateurs étrangers leader des services Cloud de se développer en France dans le cadre de cette stratégie.
Maintenant, il reste à voir avec qui et comment ces acteurs (AWS, Azure, Google) vont exploiter cette possibilité d’européanisation. OVHCloud a déjà annoncé son partenariat avec Google (Antheos). Amazon déteste la vente indirecte, mais ça pourrait changer sur ce marché public puisque Microsoft, son principal challenger pour le faire quitter le haut du podium, est lui le champion de la vente indirecte dans toutes ses divisions.
Mais pour GreenSI, l’annonce principale du Gouvernement reste de faire du Cloud un prérequis pour tout nouveau projet numérique au sein de l’État. Une stratégie « Cloud First » qui complète de facto celle d’un SI plateforme. Ceux qui, encore aujourd’hui, étudient l’option Cloud, puis retombent sur leurs pattes en expliquant qu’il vaut mieux conservent son propre datacenter interne, viennent de se retrouver encore plus seuls…
Cette stratégie « Cloud First » s’adosse à une migration volontariste vers le cloud des projets existant (« Move to Cloud »). Elle doit être engagée par tous les ministères, avec seulement deux exceptions (l’Armée et Bercy). Donc fini les infrastructures par ministère (outch !) ce sera un service du performant dans un Cloud interministériel ou d’une offre du marché labellisée.
Ça tombe bien puisque le troisième volet de la stratégie est une stratégie industrielle façon « Plan Calcul », financée par le plan de relance. La crise aura donc été décisive pour la stratégie numérique de la France, en montrant à tous la résilience et les menaces amenée par le numérique, en ouvrant les données de la santé et en créant un plan d’investissements d’avenir projetant nos infrastructures.
La stratégie Cloud pour les administrations, bizarrement appelée « Cloud au Centre », est une rupture dans l’usage des SI de l’État qui renforce la priorité de la transformation numérique.
Elle est portée par le ministère de la transformation de l’action publique dirigé par Amélie de Montchalain.
C’est également une rupture dans les usages pour les Français, puisque l’ambition de rendre disponible en ligne l’intégralité
des services du quotidien des Français d’ici à 2022, tient toujours. Le dernier bastion des services non disponibles en ligne a besoin du Cloud pour atteindre les usagers de l’administration qu’ils soient citoyens ou entreprises. Il a également besoin d’une fonction publique qui accède à des plateformes collaboratives pour mieux décloisonner les services et les administrations dans le traitement, et entrer en relation avec les usagers.
Le Cloud est donc clairement affiché pour permettre de développer de nouveaux services publics numériques, de façon plus agile moins coûteuse (clairement cité).
Maintenant pour modérer l’annonce, rappelons-nous qu’il y a trois ans le secrétaire d’État au numérique Mounir Majoubi, avait déjà présenté une stratégie cloud en trois volets qui visait déjà à développer les usages du cloud dans les administrations, les organismes publics et les collectivités territoriales. La notion de « Cloud souverain » avait été écartée, suite aux déboires de l’initiative précédente et le gouvernement ne s’interdisait pas de travailler avec des fournisseurs qui hébergent les données en dehors du territoire français, du moment qu’ils répondent aux exigences du gouvernement en matière de sécurité.
Ce sera donc la mise en œuvre qui fera la différence, et de ce point de vue, le moment semble plus favorable avec un plan de relance qui flêche des investissements dédiés aux infrastructures et un sentiment d’urgence exacerbé par la crise sanitaire et l’appel à plus de souveraineté.
Le 4ᵉ Programme d’Investissements d’Avenir et de France Relance va donc soutenir des projets industriels de développement de technologies cloud en France, avec en ligne de mire les suites logicielles de travail collaboratif, ce qui est nouveau dans les annonces de l’Etat plateforme. On part de loin et de cloisonné. Il n’y a pas par exemple d’annuaire unifié au niveau de la fonction territoiriale, l’équivalent d’un France Connect mais pour les agents.
Pourtant, des solutions françaises ou européennes existent depuis longtemps, occupent des niches, que ce soit des offres privées ou de l’open source, mais qui n’ont jamais décollé, ou n’ont pas été fortement considérées par l’Administration, l’Éducation Nationale en tête. C’est donc un second message fort envoyé cette fois au monde du logiciel qui trouvera des débouchés sur ces futurs clouds publics avec peut-être l’émergence d’une suite collaborative européenne. Après tout un Skype aurait très bien pu la porter, avant de se faire racheter par Microsoft.
GreenSI a également noté le rapprochement fait entre le « Cloud vert » et le Edge computing, ou pour le dire différemment la possibilité d’étendre le cloud sur terrain avec l’Edge, qui en déploie les technologies et permet de mieux répartir les données en fonction de l’usage pour réduire l’emprunte environnementale des réseaux ou bénéficier de capacité de production d’énergie décentralisée et durable (voir Edge, annexe du cloud, ou l’inverse).
Avec de la R&D sur l’Edge et l’avance de l’Europe en technologies 5G, le cloud européen pourrait évoluer en terme d’architecture, par rapport au modèle Cloud développé par les GAFAs.
Cette stratégie cloud française et la stratégie européenne autour de GAIA-X, semblent bien alignées. Rappelons que GAIA-X vise à labelliser des offres cloud respectant des standards de respect de la réglementation européenne, mais également de fédérer les industriels autour de « hub de données » pour collaborer dans un contexte protégé par les lois européennes.
Il reste maintenant aux fournisseurs européens à être accessibles aux marchés de l’Administration, plus vite que les acteurs américains ne pourront s’allier pour les prendre de vitesse… Le cloud est un marché très dynamique où jouent à fond les économies d’échelles et la consolidation. L’Europe offre plus de potentiel pour une R&D et des investissements que la seule migration d’applications de l’administration française. Le cloud français va donc pouvoir accélérer avec la stratégie cloud de la France (côté Demande), mais il ne sera pas indépendant du cloud européen sur le moyen terme (côté Offre).
Selon un rapport de KPMG publié quinze jours avant, le marché européen du Cloud de 53 milliards d’euros aujourd’hui aura une taille comparable à celui des télécoms en 2027, avec une croissance de 27% en moyenne, sur un marché par nature très concentré. L’enjeu économique est donc considérable pour les acteurs européens qui ont actuellement une part faible de ce marché dominé par les acteurs américains. Pour illustration, notre champion national, aussi champion européen, OVHCloud, atteint à peine 4% du marché européen.
Or le rapport souligne également le manque de régulateur dédié comme dans les télécoms, donc une complexité potentielle sur le plan concurrentiel qui va se jouer dans les détails techniques de choix, standards et normes d’interopérabilité ou de réversibilité.
Ce rapport dresse alors plusieurs scénarios d’évolution très pertinents, allant d’un cloud européen comme « bien commun » (porté par GAIA-X) a une « hyper-fragmentation » par pays et industrie. Cet écart de situations montre les défis et les incertitudes entourant le futur du cloud européen, et donc les risques pour ceux qui doivent se positionner avec de nouvelles offres. Les acteurs américains ou chinois (Alibaba) peuvent eux compter sur le marché de leur « base arrière » pour assurer leur développement en Europe.
Pour GreenSI l’appel du 17 mai restera donc un jalon important de l’histoire du cloud français pour aborder sans tabou l’équation, insoluble jusque-là, de faire croître les acteurs nationaux, voire européens, avec une stratégie Cloud First du service public, et leur donner une « base arrière » pour la bataille européenne qui se prépare.
Maintenant, cela prendra du temps, certainement 5 à 10 ans, et donc le moteur du Cloud français restera encore un certain temps celui des entreprises françaises.
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