Trina Robbins, autrice de comics et historienne féministe, est morte

Trina Robbins, autrice de comics et historienne féministe, est morte


La bande dessinée américaine perd une de ses pionnières et une militante qui travaillait à la reconnaissance des autrices du neuvième art. L’Américaine Trina Robbins est morte le 10 janvier, à l’âge de 85 ans. La nouvelle a été annoncée par ses proches, dont sa fille Casey Robbins, qui lui a rendu hommage sur Facebook.

Née en 1938, Trina Pearlson (Robbins est le nom de son ex-mari) a grandi à New York dans une famille juive modeste originaire de Biélorussie. Dès qu’elle est en âge de lire, elle découvre les comic books – des bandes dessinées publiées sous forme de fascicules aux Etats-Unis. Elle se passionne ainsi pour les aventures des héroïnes Wonder Woman, Katy Keene, Patsy Walker et surtout Sheena, reine de la jungle, à laquelle elle s’identifiait particulièrement, comme elle le racontait au Monde en 2022.

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Adolescente, elle délaisse la BD pour la science-fiction et se rend aux premières conventions de fans. Puis elle s’épanouit dans les milieux folks et bohèmes de New York, un des épicentres de la contre-culture américaine à la fin des années 1950. Partie en 1960 en Californie, elle devient styliste autodidacte et habille des stars de la musique avec des tenues hippies : David Crosby, Donovan ou Cass Elliot, du groupe The Mamas and the Papas. Elle inspire même le premier couplet de la chanson de Joni Mitchell Ladies of the Canyon.

A 28 ans, en 1966, elle rentre à New York ouvrir une boutique de vêtements. C’est à partir de ce moment qu’elle propose des planches de BD à des magazines underground. Elle dessine notamment la tenue du personnage de Vampirella de Frank Frazetta, dont le premier épisode est publié en 1969. Mais durant ses débuts, elle raconte s’être heurtée au sexisme des autres dessinateurs à son encontre. « Ils se sentaient très menacés par le féminisme. Et pourtant, les éditeurs et les journaux underground voulaient bien m’imprimer », confiait-elle au Monde. Trina Robbins sera même très sévère avec la BD underground américaine : « un club réservé aux mecs », dira-t-elle.

Version française de la planche dessinée par Trina Robbins où elle parodie ses pairs masculins et dénonce la misogynie de la BD underground dans les pages de « Zap Comix », créé par le dessinateur Robert Crumb.

Peu à peu, elle s’associe à d’autres consœurs qui partagent ses idées, notamment Aline Kominsky, la future épouse de Robert Crumb, décédée il y a deux ans. Elle participe activement aux revues féministes It Ain’t me, Babe, Wimmen’s Comix, Twisted Sisters, Wet Satin, Tits and Clits… Leurs thèmes de prédilection : une sexualité désinhibée des représentations masculines, avec une place importante donnée au lesbianisme.

Recension des autrices de comic books

La militante féministe entreprend alors de recenser les autrices oubliées dans un milieu dominé par des hommes. Ce colossal travail de recension, basé sur des recherches d’archives, a donné naissance à une dizaine d’essais parmi lesquels Women and the Comics, coécrit en 1985 avec Catherine Yronwode, A Century of Women Cartoonists (1993) ou encore From Girls to Grrrlz, A History of Female Comics from Teens to Zines (1999). Ses écrits ont permis de réexaminer l’apport des femmes à l’histoire de la BD et de sortir de l’oubli un certain nombre de pionnières, principalement américaines, totalement marginalisées pendant des décennies.

Son activité d’historienne autodidacte ne la conduit pas à délaisser pour autant la création. L’autrice militante fait des incursions dans des productions grand public dans les années 1980. Elle devient la première femme à réaliser une mini-série Wonder Woman chez l’éditeur Marvel, après quarante ans de domination masculine sur cette série. Elle participe également aux bandes dessinées Barbie de Mattel, auxquelles elle tente d’injecter de la profondeur – une démarche qui préfigure celle de la réalisatrice Greta Gerwig pour le film Barbie (2023).

Trina Robbins a connu le même sort que les autrices mises à l’écart qu’elle a ardemment cherché à remettre sous les projecteurs par ses travaux. Il lui faut attendre 2013 pour être inscrite au prestigieux « temple de la renommée Will Eisner », avant de recevoir en 2017 un prix Eisner, équivalent d’un Oscar de la bande dessinée.

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