Il y a ceux qui savent, et les autres. « It’s Dangerous to Go Alone ! » (« c’est dangereux d’y aller seul ! »), le titre de l’exposition du peintre Charles Hascoët et de la créatrice de mondes virtuels Mélanie Courtinat à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), relève de la mémoire collective des gameurs. C’est le cas des deux artistes, pour qui cette phrase-culte du jeu The Legend of Zelda s’est imposée comme une évidence, et un parfait clin d’œil pour une exposition en duo.
Les deux ont en commun d’avoir passionnément arpenté les mondes virtuels à l’adolescence. « C’est un moment où la sensibilité est à son paroxysme, un âge d’or pour être fasciné par l’expérience et la découverte des imaginaires des jeux vidéo », souligne Charles Hascoët, 37 ans. Mélanie Courtinat et lui ont une même relation affective et nostalgique aux jeux qui les ont accompagnés – plutôt des jeux solitaires pour elle, aussi les jeux multijoueurs en ligne pour lui. Et les deux ont incorporé cette passion à leur pratique artistique.
Charles Hascoët présente ici une série de petits tableaux commencée il y a un an. On y voit des scènes désertées du jeu de tir Counter-Strike. « J’ai reproduit des espaces de la version “Dust II”, aujourd’hui obsolète. Les serveurs n’existent plus, plus personne n’y joue. Il y a un léger tropisme guerrier au Proche-Orient, mais on ne sait pas trop où on est », décrypte-t-il.
A travers un travail de mémoire et de documentation, il s’est réapproprié ces lieux chargés de souvenirs en prenant de la liberté par rapport à la précision des images. Loin de toute esthétique numérique, il présente ces vues comme des souvenirs évanescents, avec des compositions évoquant la peinture classique. A un détail près : l’omniprésence de grosses caisses vertes, qui dans le jeu servaient à se protéger. Madeleines de Proust pour l’artiste, ces paysages dépeuplés incarnent ainsi des ruines biographiques autant que technologiques.
Esthétique du jeu vidéo
Autre pan de son enfance désormais inaccessible, autres environnements dématérialisés réinterprétés en peinture : les paysages de Zelda : Ocarina of Time, sur Nintendo 64, où l’on voit le personnage enfant, de dos, la toile se faisant double de l’écran, avec une petite carte des lieux à explorer.
Mélanie Courtinat, 29 ans, a, de son côté, prolongé ses émotions numériques en créant à son tour de la réalité virtuelle avec les outils et l’esthétique du jeu vidéo. La jeune artiste, qui enseigne le jeu vidéo à l’école d’art de Genève, aux Beaux-Arts, à l’Institut français de la mode et à l’Ecole Duperré, à Paris, crée des expériences immersives pour des marques de luxe, mais aussi des œuvres personnelles à l’univers empathique et poétique, où le chemin est plus important que le but. Elle revendique la légitimité du jeu vidéo comme pratique artistique à part entière.
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