dans la « panique morale » des années 1980, les ferments de QAnon

dans la « panique morale » des années 1980, les ferments de QAnon


A la mort de son fils, en 1982, l’Américaine Patricia Pulling (1948-1997) lançait une campagne contre le jeu de rôles Donjons & Dragons en l’accusant d’être responsable de sa disparition. Tout au long des années 1980, elle a acquis une forte notoriété médiatique en dénonçant le péril d’un jeu satanique poussant la jeunesse du pays au suicide. Un épisode caractéristique de « panique morale », un terme forgé par le sociologue Stanley Cohen pour désigner l’effroi suscité par les pratiques culturelles des jeunes générations.

Auteur du livre Dangerous Game (University of California Press, 2008, non traduit), le philosophe des religions Joseph Laycock a décortiqué les ressorts de cette polémique, orchestrée contre le célèbre jeu de rôles par des associations parentales et des fondamentalistes chrétiens. Pour lui, si cet épisode est en partie tombé dans l’oubli, on peut toutefois y discerner les prémices des théories complotistes actuelles.

Peut-on voir en Patricia Pulling une précurseure des complotistes d’aujourd’hui ?

Absolument ! Patricia Pulling est la fondatrice de l’association Bothered About Dungeons & Dragons (BADD), qui prétendait que le jeu de rôles était une religion sataniste. Elle n’avait aucune idée de ce dont elle parlait, mais elle fondait son autorité sur son identité de mère. Je vois cette mentalité de « maman-sait-tout » dans le mouvement QAnon.

Il y a une branche entière de ce mouvement parfois appelée « QAnon pastel » parce qu’elle est alimentée par des gens comme Pulling : des mères et des femmes au foyer apparemment ordinaires qui promeuvent d’aberrantes théories conspirationnistes sur la pédophilie et le cannibalisme sataniques.

Qu’est-ce qui vous paraît le plus choquant rétrospectivement dans cet épisode de « panique morale » ?

De très loin, l’un des aspects les plus scandaleux de la panique satanique était les séminaires sur les « crimes occultes ». Des personnalités comme Pulling, n’ayant aucune connaissance réelle du sujet, étaient payées pour « former » les policiers au satanisme. C’était une relation « symbiotique ». La police l’engageait, ce qui prouvait qu’elle était experte en criminalité occulte ; et la criminalité occulte devait bel et bien exister puisque des experts comme Pulling l’affirmaient !

En dehors de votre livre Dangerous Game, il semble que la figure de Patricia Pulling ait pourtant disparu du débat aujourd’hui.

Je pense que c’est en grande partie parce que toute la panique satanique a été oubliée ! Nous avons une sorte d’amnésie nationale à ce sujet, ce qui explique en partie pourquoi des mouvements comme QAnon ont pu gagner du terrain si rapidement. L’une des principales affirmations de la panique était que les abus sataniques entraînaient des « souvenirs refoulés » (accusation inspirée des thèses sur la mémoire traumatique refoulée et popularisée par le best-seller Michelle Remembers, du psychiatre Lawrence Pazder, en 1980). Mais je pense que ce sont plutôt les Etats-Unis qui ont choisi de refouler leur propre mémoire de la panique satanique !

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