Il y a des signes qui ne trompent pas. Une nouvelle mouture de l’Internet est en formation.
Mais ce n’est pas toujours facile de distinguer ce qui est un buzz et qui va rapidement faire pschitt, de ce qui structurera durablement les échanges sur l’Internet et la dynamique mondiale qu’il a créé en 20 ans. Ce billet est le premier d’une série de billets pour explorer ce nouvel Internet, le Web 3.0, et partager les analyses et la vision de GreenSI sur l’ébullition actuelle.
L’Internet s’est construit sur des technologies et des standards partagés, ce qui dans le monde numérique n’a pas été si fréquent et mérite d’être rappelé. Mais cette homogénéité et interopérabilité technique, qui a facilité les échanges et la mondialisation de l’économie numérique, est aujourd’hui challengée par d’autres forces, notamment politiques, règlementaires et surtout géostratégiques.
Les Russes ont rappelé la réalité physique d’un réseau le mois dernier, après la prise de la ville ukrainienne de Kherson, en redirigeant un câble de l’internet ukrainien vers un opérateur de Crimée sous influence russe (Miranda-Media). Ils ont ainsi détourné le trafic Internet hors de l’Ukraine vers les régions contrôlées par le Kremlin. Les Chinois ont déjà construit, sur l’Internet, leur nouvelle muraille de Chine pour contrôler et maîtriser les flux et la diffusion de l’information.
Le débat en Europe il n’y a pas si longtemps sur la neutralité du Net, abrogée aux États-Unis en 2017, est une devenue vision très romantique de l’Internet 😉
La combinaison de ces forces nous promet donc un Internet fragmenté, très loin du modèle initial, avec au moins quatre blocs géostratégiques qui se structurent, Chinois, Américains, Russes et Européens. À court terme, c’est une réduction des Internautes adressables avec les mêmes standards, ce qui pour la loi de Metcalfe se traduit par un Internet qui aura moins de valeur (une valeur proportionnelle au carré du nombre des membres du réseau).
Mais les standards techniques sont aussi en train d’évoluer.
La courbe ci-dessous montre que l’on fait de plus en plus référence en France au terme « web 3.0 » (apparu vers 2004) pour des technologies qui permettraient un Internet plus décentralisé, afin d’éviter de trop concentrer son pouvoir et de participer plus activement à une nouvelle gouvernance du web. Le web 3 a donc évolué dans ses contours, pour apporter une évolution au web et notamment corriger les travers du Web 2.0.
On notera que cette tendance technique n’est pas contradictoire avec la tendance géostratégique d’éclatement des blocs, qui rapidement feront des choix techniques différents pour assurer leur contrôle.
La première de ces technologies à laquelle on pense est bien sûr la blockchain, imaginée en 2008 par le mystérieux Satoshi Nakamoto et implémentée avec le Bitcoin un an plus tard. Depuis, elle a fait l’objet de multiples prévisions dithyrambiques, mais force est de constater que malgré son potentiel, elle n’a encore rien révolutionné en 12 ans, en dehors des cryptos (ce qui est déjà une performance !). GreenSI suit ses applications depuis 2015 avec plusieurs billets et note ces derniers temps un certain « frémissement » sur cette technologie en dehors des cryptomonnaies.
C’est une technologie d’infrastructure qui a le potentiel de développer un domaine de confiance dans un Internet réparti en gérant un registre partagé. C’est donc, par définition, une technologie dont aucun acteur ne peut s’emparer, et que l’on ne peut que partager. Les implémentations de la blockchain en dehors d’écosystèmes d’acteurs ou sur une blockchain fermée, que l’on peut voir par-ci et par là, ne présentent que peu d’intérêt stratégique.
C’est pourquoi, l’annonce, en plein milieu de Viva Technology 2022, de la création de l »Alliance Blockchain France« , par un ensemble d’entreprises, universitaires et institutions publiques, dans le cadre d’une association, attire l’attention. Cette alliance se fixe comme objectif d’accélérer le développement des initiatives autour de la Blockchain de l’écosystème français.
Car ce qu’il manque à l’écosystème français, c’est une infrastructure de blockchain commune et souveraine. Une infrastructure ouverte aux industriels et administrations françaises pour implémenter des applications reposant sur la blockchain, et pas nécessairement dans le domaine des cryptos.
De multiples usages sont identifiés, dans toutes les industries, pour développer des applications implémentant une confiance entre acteurs avec des registres partagés dans ces industries. Mais bien souvent quand on imagine ce type d’applications, on se tourne vers l’Ether, et sa Blockchain Ethereum, ou les quelques cryptos permettant une implémentation ouverte. Le problème, c’est que les cours de ces supports sont volatiles et il faut avoir le cœur bien accroché, ce qui dessert des applications industrielles sans rapport avec les cryptos. C’est pourquoi sont apparus les « stable coins », plus stables que les cryptos, mais dont la majorité est contrôlée par des sociétés américaines, ce qui dessert cette fois-ci des applications qui demandent de la souveraineté.
L’Alliance Blockchain France se fixe donc, après cette première étape, d’avoir rassemblé des acteurs dans une association (ouverte à tous : https://alliance-blockchain.org) de mettre en œuvre une Blockchain permettant de démocratiser cette technologie jusqu’aux plus petits acteurs, que ce soit pour expérimenter, développer des synergies entre ses membres, et plus prendre en compte le développement durable dans les infrastructures de blockchain.
On y retrouve des acteurs français de la Tech comme Orange Business Services, ATOS, ou AG Datahub la plateforme de consentements et d’échanges de données dédiée au monde agricole. Mais on y retrouve également des utilisateurs comme Suez ou l’Université de Lille, première université à délivrer une attestation de diplôme certifiée par une blockchain.
Des initiatives similaires existent en Europe et on peut citer la plus célèbre d’entre elle en Espagne, Alastria comptant plus de 600 membres après 4 ans de développement.
La blockchain est donc une technologie essentielle de la transformation digitale des entreprises et des administrations françaises. Mais pour qu’elle ne reste pas un frein à moyen terme, elle doit accélérer ses expérimentations au sein d’écosystèmes et le développement de socles communs. Elle s’inscrit dans les technologies qui vont forger l’internet Web 3.0, mais on y reviendra avec les prochains billets.
Autre signe d’une accélération dans ce secteur, l’annonce ce mois-ci de la création d’un fond de 100 millions d’euros (Ledger Cathay Fund) pour stimuler l’écosystème français et européen dans le web 3. Ce fond, soutenu par la BPI, implique la licorne française Ledger, spécialisée dans la sécurisation des cryptomonnaies. Une partie de ces nouvelles startups vont mécaniquement faire grossir les usages des blockchain.
La question que l’on peut alors se poser est (comme au début de l’Internet) : combien d’utilisateurs sont aujourd’hui utilisateurs de ces technologies et de ces usages et quelle est leur croissance ?
Les cryptomonnaies ont été la première vague et sont une façon d’approcher cette question. Si la caractéristique du web 2.0 est que les utilisateurs ont un profil, qui compile de multiples données d’usages et personnelles, le web 3.0 est caractérisée par le fait que les utilisateurs ont un « wallet ».
Le wallet c’est un actif digital individuel qui peut être une cryptomonnaie, mais aussi un actif digital unique (NFT). On remarque entre le web 2.0 et web 3.0, que les enjeux de sécurité se déportent donc des profils des utilisateurs vers ces actifs et les portefeuilles pour les stocker.
On estime le nombre d’utilisateurs détenant un actif entre 100 et 200 millions d’utilisateurs, selon les sources, avec des croissances à trois chiffres. Le milliard d’utilisateurs pourrait ainsi être atteint dans 3 ans en 2025. On est de ce fait au tout début d’un nouvel Internet, et la croissance des usages va être à regarder de près.
La rupture à observer dans les années qui arrivent (enfin !) est donc celle de la Blockchain comme technologie d’une nouvelle infrastructure économique. Elle est porteuse de nombreuses opportunités pour les acteurs qui sauront profiter de ces prochaines années pour se positionner.
Elle permettra aux internautes d’acheter, de vendre et de stocker des biens et des services. Mais pour que ces transactions se fassent en toute confiance, la question de la gestion de l’identité numérique est clef (Identification) et la capacité à vérifier que c’est bien la bonne personne (Authentification) également. Deux sujets qui demandent encore du développement en France. L’Estonie est très en avance dans ce domaine, ce qui a boosté le développement de l’Administration électronique. Elle va être très suivie pour le développement des nouveaux usages du Web 3.0.
C’est donc dans ce contexte qu’il faut analyser la pression de Facebook pour sortir son Métavers, un univers virtuel collaboratif qui est une autre forme émergente du Web 3.0, et aller plus loin dans l’évolution de son réseau social.
Mais ce sera pour le prochain billet de cette série. A très bientôt.
(function(d, s, id) { var js, fjs = d.getElementsByTagName(s)[0]; if (d.getElementById(id)) return; js = d.createElement(s); js.id = id; js.src = "//connect.facebook.net/fr_FR/all.js#appId=243265768935&xfbml=1"; fjs.parentNode.insertBefore(js, fjs); }(document, 'script', 'facebook-jssdk'));