« Les commentaires en ligne sont une composante de la vie démocratique »

« Les commentaires en ligne sont une composante de la vie démocratique »


Le dernier ouvrage des sociologues Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Qu’est-ce que l’actualité politique ? (Gallimard, 352 p., 22 €), s’intéresse à ce qui fait « événements et opinions au XXIe siècle ». Dans le cadre de ce travail, les deux chercheurs ont eu notamment accès aux 120 000 contributions déposées en septembre et octobre 2019 par des abonnés du Monde sur le site du journal, qu’elles aient été publiées ou rejetées – pour environ un sixième d’entre elles – pour non-conformité à la charte de l’espace des contributions.

Luc Boltanski, vous avez travaillé dans les années 1980 sur le courrier des lecteurs du « Monde ». Près de quatre décennies après, quelle comparaison pouvez-vous dresser ?

Luc Boltanski : A l’époque, j’essayais de développer la notion d’« affaire ». J’ai eu accès à un corpus d’environ 300 lettres adressées au courrier des lecteurs du Monde par des gens qui dénonçaient ce qu’ils considéraient comme une injustice et parlaient de leur « affaire ». Le corpus de 120 000 contributions sur lequel nous avons travaillé cette fois-ci est bien différent.

Arnaud Esquerre : La grande différence entre la lettre papier et le commentaire en ligne, c’est que plus de 80 % des commentaires en ligne sont publiés, ce qui n’était pas le cas des lettres. L’autre grande différence, et on ne s’y attendait pas, c’est que ces commentaires en ligne évoquent très rarement des causes personnelles et sont centrés sur l’actualité. Ce qui ne veut pas dire qu’on n’y trouve pas des indices sur la vie privée des contributeurs, mais ces indices sont mis en avant dans le cadre d’une interprétation des faits contenus dans les articles qui est différente de celle donnée par le journaliste.

Qui sont ces contributeurs et contributrices ?

L.B. : Des gens plus tout jeunes, plutôt des hommes, issus des catégories moyennes et supérieures, et politiquement troublés, parce qu’ayant du mal à faire le lien entre leur ressenti, la position politique de leur journal et la position qui était la leur dans le passé et dont ils ne savent plus très bien où elle se situait. On constate chez certains une forme de « désolation », pour reprendre un terme que l’on retrouve chez Hannah Arendt : un décrochage entre ce en quoi l’on croit et le monde de l’action.

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A.E. : Nous étions partis sur l’idée qu’il y aurait, à la marge, de la remise en cause des faits, du complotisme, et on n’a pas du tout trouvé cela. Les lecteurs et lectrices ne remettent pas en cause les faits présentés par les journalistes, mais en contestent les interprétations. Pour eux, Le Monde est une quasi-institution, un journal qui garantit la vérité des faits, et ils sont très attachés à cet aspect. Autre surprise, on s’attendait à trouver des insultes, des aspects diffamatoires, et c’est l’inverse qui est apparu : une écriture très soignée et le soin porté au choix des arguments.

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