un week-end potache entre mèmeurs « décentralisés »

un week-end potache entre mèmeurs « décentralisés »


Au milieu de la forêt vosgienne en ce samedi 18 juin, une joyeuse bande se bidonne devant un concours de lancer de pelle. Une référence à la date du jour, célèbre pour l’appel du général de Gaulle, et, aussi, une lointaine référence à « l’homme à la pelle en slip », passé à la postérité en 2015 pour avoir brandi une pelle face à des membres de la Ligue de protection des oiseaux et devant l’objectif de journalistes. Cet incident n’avait évidemment pas échappé à Internet, qui avait transformé le malheureux en mème.

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Mais si une centaine de personnes se sont réunies entre champs de maïs et résineux, c’est moins pour le lancer de pelle que par passion pour ces images ou citations détournées. L’ambiance est à la fête : Mèmes décentralisés, un compte de mèmes sur Instagram consacré aux spécificités régionales, célèbre ses 4 ans. L’occasion, pour Gabriel et André, les fondateurs, de retrouver leur communauté le temps d’un week-end à La Faîte, une ferme culturelle.

Qu’est-ce qui peut bien pousser des individus aux origines géographiques diverses à se retrouver autour d’une pelle sous une chaleur de plomb ? « Le chauvinisme, tranche Gabriel dans un sourire. Plus les gens vont finir leurs verres, plus ils vont se charrier. La mauvaise foi, c’est aussi ça qui nous réunit. » Les productions décalées de Mèmes décentralisés ne se contentent pas de faire rire à grands coups de singularités locales, elles peuvent aussi permettre d’en apprendre davantage sur les cultures régionales. « Vous êtes nos Lorànt Deutsch », lâche un festivalier qui passe devant le duo. André complète : « Ce week-end, c’est plutôt “J’irai picoler chez vous”. » Liqueur de poire, calvados, chartreuse… Les participants, entre deux lancers de pelle, lèvent le coude et comparent leurs gnôles locales – même si, Vosges obligent, la mirabelle est de rigueur ce soir.

Mettre en valeur son terroir

A l’image des productions de Mèmes décentralisés, chacun y va de sa querelle de clocher et ne manque pas de promouvoir son terroir. Certains sont néanmoins plus durs à soutenir que d’autres. « Personne n’a jamais défendu Saint-Etienne », se désole Baptiste. Lui-même à la tête d’une page de mèmes sur la Loire, il dit « ne pas [se] limiter à faire des blagues sur la mauvaise réputation de la ville » quand il est en ligne, et préférer mettre en valeur son histoire et sa culture. Les mèmeurs régionaux, qu’ils aient un compte consacré à l’Occitanie ou à Strasbourg, sont plusieurs à avoir fait le déplacement. Beaucoup d’entre eux se sont d’ailleurs lancés en suivant l’exemple de Mèmes décentralisés. « On est un peu leurs enfants », résume Baptiste, admiratif.

La passion des traditions françaises dépasse les frontières. Rin a fait un long périple pour venir faire la fête avec la communauté, et aussi pour rencontrer ses créateurs. Urgentiste à Toulouse, la Belge a pris l’avion jusqu’à Charleroi. Là-bas, Maxime, un autre Belge, l’attendait avec sa voiture pour se rendre dans les Vosges. Julien, un barbu surnommé « Ragnar » par ses amis, a parcouru moins de chemin. Il habite la ville tendrement honnie par tous les festivaliers : Paris.

D’origine normande, Julien résume l’état d’esprit général : « Les publications de Mèmes décentralisés évoquent des choses de notre quotidien, c’est notre vécu. » Assis à sa gauche, Victor, Alsacien moustachu vêtu d’une chemise hawaïenne, le coupe : « Mon grand-père m’a mis sur un tracteur à 6 ans ! »

« Montrer à Mèmes décentralisés qu’on les soutient »

En début d’après-midi, l’arrivée de Victor avec son frère Arthur a été particulièrement remarquée. Gabriel et André ont promis un tee-shirt avec le logo de leur page, un croissant, si jamais l’un de leurs abonnés venait en C15. Les deux Alsaciens ont dépassé leurs attentes en débarquant avec une C15 customisée par leur père carrossier, aux couleurs de la voiture de Gaston Lagaffe. Victor raconte :

« Quand on lui a expliqué le concept de Mèmes décentralisés et ce que représentait cet emblème de la ruralité pour cette communauté, je crois qu’il était plus heureux que nous. »

La C15 de Citroën, objet de blagues récurrentes sur les pages de Mèmes décentralisés.

Assis dans l’herbe, des festivaliers démarrent un tournoi d’Où est-ce, un jeu librement inspiré de l’incontournable Qui est-ce ?. Les règles sont simples : il s’agit de deviner la ville de son adversaire avant qu’il ne devine la sienne. Avec sa barbe blanche, Alexandre, 39 ans, est l’un des doyens. « Je ne pense pas que mon âge fasse de moi un ovni dans le milieu des fans de mèmes, assure-t-il. Et puis l’anonymat sur Internet annule ce qui pourrait être des barrières éventuelles. » Spoiler : Alexandre ne remportera pas le tournoi, mais il se consolera le soir même en dansant sur de la « techno médiévale », un mélange de musique électronique et de cornemuse.

Toutes ces activités et ces discussions, Gabriel les perçoit comme « une bonne synthèse » du contenu qu’il publie avec André sur les réseaux sociaux. Le premier réussit l’exploit de vivre de ses créations depuis plus d’un an tandis que le second continue majoritairement son activité de graphiste. « En plus de retrouver des gens qui ont des valeurs similaires, ce qui m’a motivé à venir, c’est de montrer à Mèmes décentralisés qu’on les soutient, s’enthousiasme Victor. De voir cette communauté, ça doit leur donner de la force. » Il poursuit, en désignant Julien : « Et puis j’ai fait de super rencontres. »

La fidélité de leur communauté, les mèmeurs en tout genre risquent d’en avoir bien besoin. Instagram, réseau social qu’utilisent massivement ces créateurs de contenus, met de plus en plus en avant les vidéos avec l’espoir de concurrencer TikTok. « Comme les mèmes sont des images, ils risquent d’être moins visibles qu’auparavant, affirme Gabriel, mais je ne suis pas inquiet pour autant : le mème existait avant Instagram et il continuera d’exister. Ça reste une des manières les plus efficaces de faire passer une idée. »





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