Le 8 mai 2022, une dépêche AFP annonçait que le parquet égyptien avait ordonné la libération de trois personnes qui, dans une chanson publiée en mars sur TikTok, ont eu l’outrecuidance de dénoncer l’inflation galopante dans leur pays. Largement relayée et appréciée (plus de 11 millions de likes), leur vidéo satirique leur a valu d’être emprisonnés aux motifs suivants : « terrorisme » et diffusion de « fausses informations ». Fausses informations ? Si l’on s’en tient rigoureusement aux faits, les prix à la consommation en Egypte ont augmenté en mars de 12,1 %, dans un contexte de forte hausse de l’énergie et des matières premières lié à la guerre en Ukraine. On peut donc, effectivement, parler d’« inflation ».
Mais comment qualifier alors cette information vraie rendue fausse par la simple volonté d’un pouvoir autocratique qui s’emploie à travestir le réel ? Il y a là quelque chose de frauduleux dans l’intention qui fait penser aux « fake news ». Durant la décennie écoulée, ces dernières ont envahi l’espace public, en profitant de la caisse de résonance des réseaux sociaux. Association de fake (« erroné, bidon ») et news (informations), le concept désigne ces nouvelles mensongères diffusées dans l’objectif de tromper ou de manipuler le public.
Révisionnisme en temps réel
En s’inspirant de cette expression et en contractant les termes « vrai » et « fake », on pourrait alors qualifier de « vrake news » ces informations qui reposent sur une réalité tangible, mais qu’un processus de travestissement présente comme fausses. Le fait d’avancer, comme l’ont fait les Russes, que le massacre de civils qui a eu lieu à Boutcha n’est qu’une « mise en scène » est un cas emblématique de « vrake news ». Ce relativisme nauséabond raconte à la fois la porosité des esprits à la propagande et l’émergence problématique d’un révisionnisme en temps réel, utilisé comme arme géostratégique. « Les mots si précieux peuvent-ils perdre toute valeur ? », s’interrogeait le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, dans son discours du 8 mai.
Là où la « fake news » contribue à l’édification d’une réalité alternative en présentant le faux comme vrai de manière parfois fantasque (non, le pape n’a jamais soutenu Donald Trump), l’objectif central de la « vrake news » est de nier les évidences, de proposer un « narratif » de substitution où le vrai est invalidé, jusqu’à voir sa possibilité même anéantie.
Ainsi, depuis la loi votée le 4 mars par la Douma, parler publiquement en Russie de « guerre » ou d’« invasion » à propos de ce qui se passe en Ukraine vous assimile à un propagateur de « fausses informations », et peut vous valoir jusqu’à quinze ans de prison. Dans ce monde à l’envers, les promoteurs assermentés de « vrake news » ne cessent de rappeler que tout ceci n’est qu’une « opération spéciale » visant au « maintien de la paix » ; dans laquelle les vraies victimes sont activement travesties en faux « nazis ».